Au cœur d’une guerre qui dure depuis plus d’un an, Israël traverse une profonde crise de société autour de la question épineuse de l’exemption de service militaire pour les juifs ultra-orthodoxes. C’est dans ce contexte tendu que le rabbin Kalman Ber, 66 ans, vient d’être élu au poste de grand rabbin ashkénaze d’Israël. Une nomination qui suscite la polémique et met en lumière les fractures de la société israélienne.
Un rabbin populaire soutenu par des courants opposés
Kalman Ber, issu d’une longue lignée rabbinique, a su rassembler autour de sa candidature des soutiens venant d’horizons différents. Conférencier réputé, il a réussi le tour de force d’être appuyé à la fois par les milieux ultra-orthodoxes et par certains rabbins du courant sioniste-religieux. Un large rassemblement qui a permis son élection avec 77 voix, contre 58 pour son adversaire Micha Halevi.
Contrairement à son homologue séfarade David Yossef nommé un mois plus tôt, le rabbin Ber a lui-même effectué son service militaire dans l’armée israélienne. Depuis dix ans, il officiait comme rabbin de la ville de Netanya, dans le centre du pays. Sa nomination intervient pour un mandat de dix ans, au terme d’un scrutin rassemblant 140 grands électeurs, pour moitié des rabbins et pour moitié des élus.
Une autorité religieuse aux pouvoirs étendus
En Israël, pays où il n’existe pas de séparation entre religion et État, les grands rabbins exercent une influence considérable sur le statut personnel des juifs israéliens. Ils sont à la tête d’une administration composée de fonctionnaires religieux qui régissent des pans entiers de la vie des citoyens :
- Les juifs ne peuvent se marier ou divorcer qu’en passant devant des rabbins. Pour qu’une union soit reconnue, les fiancés doivent prouver leur judéité devant un tribunal rabbinique.
- Le rabbinat contrôle également les conversions au judaïsme.
- Il délivre les certificats de cacheroute, attestant du respect des règles alimentaires pour les restaurants, cantines et produits vendus dans les magasins.
Face à ce monopole religieux sur l’état-civil, des milliers d’Israéliens laïcs ou ne pouvant prouver leur judéité choisissent de se marier civilement à l’étranger. Le ministère de l’Intérieur reconnaît ensuite leur union.
Le nouveau grand rabbin reste silencieux sur la conscription
Alors que le débat sur l’exemption de service militaire pour les étudiants des écoles talmudiques enflamme la société israélienne, le rabbin Ber n’a pas pris position publiquement sur cette question sensible. En pleine guerre contre le Hamas dans la bande de Gaza et contre le Hezbollah à la frontière nord, l’armée israélienne manque cruellement de soldats. Pourtant, les juifs ultra-orthodoxes bénéficient d’une dispense.
Cette situation crée un profond malaise au sein de la population. De nombreux Israéliens estiment que la charge de la défense du pays repose de manière disproportionnée sur une partie de la jeunesse, tandis qu’une frange de la société en est exemptée. Les appels à une répartition plus équitable du fardeau se multiplient, mais se heurtent à la résistance farouche des partis ultra-orthodoxes.
Un pays profondément divisé
L’élection du rabbin Ber intervient dans un contexte de fractures de plus en plus marquées au sein de la société israélienne. D’un côté, une part croissante de la population aspire à une plus grande laïcité et souhaite desserrer l’emprise des autorités religieuses sur leur vie quotidienne. De l’autre, les ultra-orthodoxes, qui représentent 12% des Israéliens, affirment avec force leur identité et refusent toute remise en cause de leurs privilèges.
Pris en étau entre ces aspirations contradictoires, le gouvernement peine à trouver un équilibre. Toute tentative de réforme suscite immédiatement de vives oppositions. En 2021, la Cour suprême avait jugé inconstitutionnelle la loi exemptant les ultra-orthodoxes de service militaire, déclenchant la colère des partis religieux qui avaient mis leur veto à son annulation.
Avec un nouveau grand rabbin ashkénaze qui refuse de prendre position sur le sujet, et une guerre qui se poursuit avec son lot de victimes, la question de la conscription des ultra-orthodoxes risque de continuer à empoisonner le débat public israélien pendant encore de longues années. Un défi de taille pour un pays qui peine à concilier les aspirations contradictoires qui le traversent.