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L’Égypte, l’autre champ de bataille entre salafistes et Frères musulmans

Plongée dans un siècle de rivalité entre salafistes et Frères musulmans en Égypte, où se joue une partie de l'avenir de l'islam politique. Un livre éclaire les coulisses de cet affrontement aux répercussions mondiales.

En apparence, ils semblent partager la même vision d’un islam rigoriste et conquérant. Pourtant, salafistes et Frères musulmans sont engagés dans une intense rivalité sur les terres d’Égypte depuis près d’un siècle. Une confrontation idéologique et politique aux ramifications bien au-delà des frontières du pays, et dont l’issue pèsera lourd sur l’avenir de l’islam politique dans le monde arabe et musulman.

Aux origines du salafisme et des Frères musulmans

Pour comprendre cet affrontement, il faut remonter aux années 1920, quand émergent quasi simultanément le salafisme et les Frères musulmans dans une Égypte encore sous domination britannique. Face à l’humiliation de la colonisation, des intellectuels appellent à un retour aux sources de l’islam pour renouer avec la puissance passée. Un “réformisme musulman” dont naîtront deux mouvements aux destins d’abord parallèles, avant de se croiser et de s’entrechoquer.

D’un côté, les salafistes prônent un islam épuré des influences culturelles et centré sur l’unicité absolue de Dieu et l’imitation des pieux ancêtres, les “salaf”. De l’autre, les Frères musulmans fondés en 1928 par Hassan al-Banna développent un islamisme plus politique, tourné vers la réislamisation de la société et la prise du pouvoir.

De Nasser aux Printemps arabes

Dans les décennies suivantes, les deux courants connaissent des fortunes diverses. Les Frères musulmans, malgré la répression de Nasser qui exécute en 1966 leur idéologue Sayyid Qutb, gagnent une forte influence dans la société égyptienne via leurs œuvres sociales et éducatives. A l’inverse, les salafistes restent relativement marginaux, cultivant le quiétisme politique et se concentrant sur la prédication et la purification des croyances et des mœurs.

Mais les Printemps arabes de 2011 vont rebattre les cartes. Portés au pouvoir en Égypte, les Frères musulmans se retrouvent vite confrontés à un double défi : l’opposition farouche des élites laïques et militaires, et la concurrence des salafistes entrés en politique avec le parti Al-Nour et bien décidés à ne plus laisser le monopole de l’islam aux Frères.

Al-Azhar, arbitre du jeu religieux

Le coup d’État militaire de 2013 qui renverse le président frériste Mohamed Morsi aurait pu mettre les deux mouvements dans le même camp de l’opposition islamiste au nouveau régime du maréchal Sissi. Mais il n’en est rien. Tout en réprimant sans merci les Frères musulmans, le pouvoir ménage les salafistes, les autorisant même à créer des partis. Une manière de diviser pour mieux régner.

Surtout, le régime Sissi donne un rôle central à Al-Azhar, prestigieuse institution sunnite, pour promouvoir un “islam modéré” face aux “excès” des Frères musulmans et contrer leur influence. Une stratégie qui semble porter ses fruits, Al-Azhar regagnant du terrain face aux prêcheurs fréristes et salafistes, y compris sur Internet et les réseaux sociaux.

On observe aujourd’hui un islam traditionnel qui relève la tête à Al Azhar en Égypte. Un mouvement de recomposition religieuse est à l’œuvre, et les États s’en mêlent.

– Stéphane Lacroix, auteur de “Le crépuscule des saints” sur le salafisme en Égypte

Si l’avenir des Frères musulmans en Égypte semble bien sombre, celui des salafistes est plus incertain. En choisissant le jeu électoral et les compromis politiques, ils ont perdu en crédibilité religieuse. Opposants officiels, ils sont perçus comme des alliés de fait du régime. De quoi laisser le champ libre à un retour de l’islam azharite traditionnel.

Reste qu’au-delà des luttes de pouvoir locales, la rivalité entre Frères musulmans et salafistes a des répercussions dans tout le monde musulman, où les deux mouvements ont essaimé. De la Tunisie au Pakistan en passant par la Turquie et l’Indonésie, leur compétition pour le leadership islamiste impacte la stabilité de nombreux pays. L’Égypte n’est qu’un champ de bataille parmi d’autres d’une guerre idéologique globale.

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