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Législatives : Le Paradoxe Du Scrutin, RN Premier En Voix Mais 3e En Sièges

Premier en voix avec 36% mais seulement 3e en sièges à l'Assemblée, le RN illustre les distorsions de notre mode de scrutin législatif. Un résultat qui relance le débat sur une nécessaire réforme de notre système électoral pour une meilleure représentativité. Décryptage.

Les résultats des élections législatives 2024 ont de quoi laisser perplexe. Arrivé largement en tête au niveau national avec 36% des suffrages exprimés, soit plus de 10 millions de voix, le Rassemblement National de Jordan Bardella n’obtient pourtant que 143 sièges à l’Assemblée Nationale. Il se retrouve ainsi seulement en 3e position, derrière le Nouveau Front Populaire (184 sièges) et le camp présidentiel (166 sièges), qui ont réuni respectivement 25% et 23% des voix. Un décalage entre les urnes et l’hémicycle qui interroge sur les distorsions engendrées par notre mode de scrutin.

Un mode de scrutin qui avantage les partis bien implantés localement

Pour comprendre ce paradoxe, il faut revenir aux fondamentaux de notre système électoral pour les législatives. Il s’agit d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Dans chaque circonscription, est élu le candidat arrivé en tête au premier tour s’il réunit plus de 50% des suffrages exprimés. À défaut, un second tour est organisé entre les candidats ayant obtenu au moins 12,5% des inscrits, et c’est celui arrivé en tête qui l’emporte, même avec une majorité relative.

Ce mode de scrutin donne un avantage certain aux partis bien implantés localement, capables de l’emporter dans un maximum de circonscriptions. C’est précisément le cas du NFP, très fort dans les grandes villes et leurs périphéries, ainsi que du camp présidentiel qui conserve des bastions. À l’inverse, malgré ses 36% au niveau national, le RN peine à transformer l’essai localement, faute de relais et d’ancrage suffisants dans de nombreux territoires.

Des voix concentrées dans certains fiefs

L’autre facteur explicatif du décalage tient à la répartition géographique du vote RN. Ses électeurs sont surreprésentés dans certains fiefs comme le nord et le sud-est, où il réalise des scores supérieurs à 40%, mais sous-représentés dans l’ouest et le centre. Résultat : un gros contingent de députés élus, mais avec des surplus de voix qui ne lui rapportent rien ailleurs.

Notre mode de scrutin donne une prime au vainqueur dans chaque circonscription, au détriment du poids réel de chaque parti en voix. Un biais qui pose la question de la représentativité.

Emmanuelle Reungoat, politologue

Vers une réforme du système électoral ?

Face à ce nouveau paradoxe des urnes, certains appellent à revoir notre système électoral afin de réduire le décalage entre les voix et les sièges obtenus par chaque parti. Plusieurs pistes sont évoquées, comme l’introduction d’une dose de proportionnelle, un abaissement du seuil requis au second tour, ou encore un redécoupage des circonscriptions. Mais toute réforme devra être mûrement réfléchie pour ne pas déstabiliser notre vie politique.

En attendant, le RN devra se contenter de son groupe de 143 députés, certes historique, mais loin de ses espérances au soir du premier tour. Un groupe qui risque de peser moins que son poids réel dans le pays, et qui devra composer avec un NFP et un camp présidentiel sur-représentés grâce au mode de scrutin. De quoi nourrir la rancœur des électeurs lepénistes et la critique de “l’établissement”.

Un Parlement morcelé et instable

Autre conséquence de ces élections : l’extrême morcellement de l’Assemblée, où aucun groupe ne dispose de majorité absolue. Le NFP et ses 184 députés devront négocier des alliances mouvantes en fonction des textes, avec les 166 députés macronistes ou les 84 élus de la NUPES. Un équilibre précaire qui promet des débats houleux et des majorités fluctuantes, au détriment de la stabilité et de la lisibilité de l’action politique.

Au final, ces élections législatives 2024 auront accouché d’un Parlement en trompe-l’œil, où les rapports de force réels en voix ne se reflètent pas dans la composition de l’hémicycle. Un décalage qui risque d’alimenter l’incompréhension et la défiance des citoyens envers le fonctionnement de nos institutions. La question d’une réforme de notre mode de scrutin pour plus de représentativité n’en devient que plus pressante, même si le chemin s’annonce semé d’embûches. En attendant, gouverner et légiférer avec une Assemblée aussi éclatée relèvera d’un vrai numéro d’équilibriste pour le pouvoir en place.

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