À quelques jours du premier tour des élections législatives, un appel surprenant vient bousculer le jeu politique. Dominique Strauss-Kahn, figure emblématique du Parti Socialiste, sort de sa réserve pour exhorter les électeurs à faire barrage au Rassemblement National (RN), quitte à voter pour un candidat de la France Insoumise (LFI) au second tour. Une prise de position qui en dit long sur les craintes suscitées par la percée annoncée de l’extrême droite.
DSK : “Il faut savoir choisir son meilleur ennemi”
Dans une tribune publiée mardi dans le magazine Challenges, l’ancien directeur du FMI a mis en garde contre le risque de commettre la même erreur que “les socio-démocrates allemands en 1933”. À l’époque, ces derniers avaient sous-estimé le danger représenté par l’arrivée au pouvoir des nazis. Pour DSK, même si les programmes économiques du RN et de LFI sont “très peu crédibles”, il faut savoir raison garder :
Le Nouveau Front populaire est une coalition hétéroclite comprenant de vrais démocrates et de vrais totalitaires, quand le RN est une coalition homogène de vrais totalitaires, tous détestables, dont l’ADN est fondamentalement xénophobe et antisémite.
– Dominique Strauss-Kahn
L’appel de l’ex-socialiste est clair : dans les circonscriptions où s’affronteront le RN et LFI au second tour, il faudra choisir le “meilleur ennemi” en votant contre le candidat d’extrême droite. Un choix cornélien pour de nombreux électeurs, tant Jean-Luc Mélenchon cristallise lui aussi les oppositions.
Le spectre du 21 avril 2002
En filigrane de la prise de position de DSK, c’est le souvenir du 21 avril 2002 qui semble ressurgir. Ce jour-là, Jean-Marie Le Pen accédait au second tour de la présidentielle, provoquant un électrochoc dans le pays. Face à ce “coup de tonnerre”, un vaste front républicain s’était mis en place pour faire barrage au patriarche de l’extrême droite.
Vingt ans plus tard, la donne a changé. Marine Le Pen a réussi à lisser l’image du RN, capitalisant sur les crises successives et le ressentiment d’une partie de la population. Résultat : son parti est crédité de plus de 20% d’intentions de vote au premier tour. De quoi lui ouvrir les portes de l’Assemblée nationale en cas de victoire.
Un front républicain version 2024 ?
L’appel de Dominique Strauss-Kahn suffira-t-il à mobiliser les abstentionnistes et faire barrage à l’extrême droite ? Rien n’est moins sûr. Critiqué pour son passé sulfureux, l’ancien patron du FMI n’a plus le poids politique d’antan. Et la perspective de voter pour un candidat insoumis en cas de duel avec le RN risque d’en rebuter plus d’un.
Pourtant, à l’heure où le RN rêve d’imposer ses idées à l’Assemblée, certains jugent qu’il est temps de dépasser les clivages partisans. Quitte à “se boucher le nez” dans l’isoloir, comme l’a jadis théorisé un certain François Mitterrand. Un mal pour un bien face à la menace de l’extrême droite ? C’est tout le sens du message délivré par DSK.
Jordan Bardella dénonce “un chantage”
Sans surprise, la proposition de l’ex-socialiste fait bondir au RN. Jordan Bardella, président du parti à la flamme, y voit une forme de “chantage” visant à détourner les électeurs :
Dominique Strauss-Kahn, qui a eu maille à partir avec la justice, n’a aucune leçon à nous donner. Son appel réminant à un ‘front républicain’ est une manœuvre grossière pour faire oublier la faillite des vieux partis.
– Jordan Bardella
Reste que le spectre d’une victoire du RN plane bel et bien sur ces législatives. Emmanuel Macron, qui joue sa majorité, l’a bien compris. Ces derniers jours, il multiplie les mises en garde contre les extrêmes, appelant au “sursaut républicain”. Mais dans un contexte de défiance envers le pouvoir en place, le message a du mal à passer.
Un scrutin à hauts risques
À moins d’une semaine du premier tour, tous les scénarios restent ouverts. Selon les dernières projections, le RN pourrait décrocher entre 60 et 80 sièges, faisant jeu égal avec la coalition de gauche emmenée par LFI. Un résultat historique qui changerait la donne à l’Assemblée nationale, où la majorité présidentielle risque de perdre son assise.
Dans ce contexte explosif, l’appel de DSK résonne comme un ultime avertissement avant le scrutin. Pour l’ancien ministre des Finances, il en va de “l’avenir de la démocratie” dans notre pays. Un enjeu qui dépasse les clivages politiques habituels, à l’heure où l’extrême droite n’a jamais semblé aussi proche du pouvoir.
Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : ces législatives 2024 s’annoncent plus que jamais comme un vote de rupture. Rupture avec le “système” pour les uns, avec les valeurs républicaines pour les autres. Dans ce combat incertain, le coup de semonce tiré par Dominique Strauss-Kahn restera comme un moment charnière de la campagne. Avec une question en toile de fond : jusqu’où les digues du front républicain tiendront-elles face à la vague RN ?