Le spectre de l’égalitarisme fiscal resurgit dans le débat public français. De Jean-Luc Mélenchon qui veut taxer « tout au-dessus de douze millions », au Rassemblement National prônant une « nouvelle forme d’ISF », en passant par des sénateurs de droite ou du centre réclamant de recréer un impôt sur le « patrimoine passif », le socialisme fiscal semble faire son grand retour dans les rangs politiques.
Pourtant, il y a plus d’un siècle, un grand auteur français avait déjà mis en garde contre les dérives morales d’une telle idéologie : Anatole France. Dans son roman Les dieux ont soif, publié en 1912, l’écrivain dressait un portrait au vitriol des excès de l’égalitarisme pendant la Révolution française.
La faillite morale de l’égalitarisme selon Anatole France
À travers le personnage d’Évariste Gamelin, jeune peintre devenu juré au Tribunal révolutionnaire, Anatole France dépeint la dérive totalitaire d’un égalitarisme poussé à l’extrême. Gamelin, d’abord épris de justice et d’égalité, sombre peu à peu dans une folie meurtrière au nom de ces idéaux déviants.
« La République était en péril: pour la sauver, il fallait des lois terribles, qui missent la Terreur à l’ordre du jour, et les citoyens suspects hors la loi. »
– Anatole France, Les dieux ont soif
Le roman montre avec acuité comment la quête effrénée d’égalité absolue, notamment sur le plan fiscal et économique, conduit inévitablement à la violence et à l’arbitraire. Les niveleurs les plus radicaux finissent par se retourner contre leurs propres idéaux humanistes.
L’égalitarisme fiscal, une impasse économique et sociale
Au-delà de la dimension morale, l’égalitarisme fiscal prôné aujourd’hui par certains responsables politiques semble une dangereuse illusion économique. Vouloir taxer toujours plus les hauts revenus et les patrimoines importants risque de assécher l’économie en décourageant l’initiative et l’investissement.
Plutôt que de chercher à réduire les inégalités par le haut en ponctionnant davantage les plus aisés, ne faudrait-il pas se concentrer sur l’élévation du niveau de vie des classes moyennes et populaires ? C’est tout l’enjeu d’une vraie réforme fiscale, axée sur la baisse des prélèvements et la simplification.
Car au fond, l’égalitarisme fiscal n’est souvent qu’un cache-misère pour masquer l’incapacité des gouvernants à réformer en profondeur un modèle économique et social à bout de souffle. Plutôt que de s’attaquer aux racines du problème (dépenses publiques excessives, réglementations paralysantes…), on préfère jouer la carte du clientélisme et de la redistribution à outrance.
Repenser la solidarité sans sombrer dans l’égalitarisme
Pour autant, il ne s’agit pas de renoncer à toute forme de solidarité ou de justice sociale. L’objectif d’une société plus équitable et inclusive reste essentiel. Mais cela passe d’abord par la responsabilisation de chacun, la valorisation du travail et du mérite, plutôt que par une logique punitive et égalitariste.
En matière fiscale, cela pourrait se traduire par une flat tax ou un système à deux tranches d’imposition seulement, qui récompense l’effort sans décourager la réussite. Parallèlement, il faudrait mener une vraie politique d’accompagnement des plus fragiles via la formation, l’éducation et l’accès à l’emploi.
Anatole France avait vu juste en pointant les travers d’un égalitarisme dévoyé. Plus d’un siècle après, ses mises en garde restent d’une brûlante actualité. Aux responsables politiques de ne pas céder aux sirènes d’une taxation confiscatoire, mais de construire un nouveau pacte fiscal, conciliant équité et efficacité économique. Le vrai progrès social est à ce prix.