Imaginez un champ de tomates cerises, vibrant de vie sous le soleil ardent du sud du Maroc, là où la sécheresse menace depuis des années. Dans la région de Chtouka, à une heure d’Agadir, l’agriculture prospère malgré un climat impitoyable. Le secret ? L’eau dessalée, une technologie coûteuse mais devenue indispensable pour sauver des exploitations et des emplois. Alors que le Maroc fait face à une crise hydrique sans précédent, cette solution suscite autant d’espoir que de débats. Plongeons dans cette révolution agricole qui redessine l’avenir du pays.
Une réponse à la crise hydrique
Depuis 2018, le Maroc traverse une sécheresse d’une ampleur rare, mettant en péril son agriculture, un pilier économique représentant environ 12 % du PIB. Dans la plaine de Chtouka, où les cultures maraîchères dominent, l’eau des nappes phréatiques ne suffit plus. Les agriculteurs, confrontés à des ressources hydriques en chute libre, ont vu dans le dessalement une bouée de sauvetage. Cette technologie, qui transforme l’eau de mer en eau douce, irrigue aujourd’hui des milliers d’hectares et approvisionne des millions d’habitants en eau potable.
Dans ce contexte, une responsable d’une grande entreprise agricole marocaine confie :
Sans l’eau dessalée, nous ne serions plus là.
Cette phrase résume l’urgence. Mais derrière cette solution miracle, des défis économiques et environnementaux émergent, questionnant la viabilité à long terme de cette pratique.
Le dessalement : une révolution agricole
Dans la région du Souss-Massa, qui concentre 85 % des exportations marocaines de produits maraîchères, le dessalement a transformé le paysage. Une station, opérationnelle depuis 2022, fournit 125 000 m³ d’eau par jour pour irriguer 12 000 hectares de cultures de primeurs, comme les tomates ou les poivrons. Elle alimente également 1,6 million de personnes en eau potable. D’ici fin 2026, sa capacité devrait atteindre 400 000 m³ par jour, dont la moitié sera dédiée à l’agriculture.
Ce système a permis de préserver des emplois et d’éviter des pertes économiques colossales, estimées à plus de 860 millions d’euros. Les cultures maraîchères, occupant 29 000 hectares, génèrent près de 940 millions d’euros de chiffre d’affaires chaque année. Sans le dessalement, un agronome local prédit un scénario catastrophique pour la région.
Le dessalement a non seulement sauvé des exploitations, mais il a aussi permis à certains agriculteurs d’étendre leurs surfaces cultivées, passant de quelques hectares à des dizaines.
Un coût élevé pour les agriculteurs
Malgré ses avantages, l’eau dessalée reste une solution onéreuse. Vendue à 0,48 euro le m³, elle est bien plus chère que l’eau conventionnelle, qui coûte environ 0,096 euro le m³. À la sortie de l’usine, son prix atteint même 1,05 euro le m³, mais des subventions publiques réduisent ce coût pour les agriculteurs. Cette différence tarifaire exclut de nombreux petits exploitants, qui continuent de dépendre des puits, souvent à sec.
Un agriculteur local, cultivant des courgettes et des poivrons sur un demi-hectare, explique :
Je ne peux pas me permettre cette eau, elle est trop chère.
Pour les grandes exploitations comme celles du groupe franco-marocain produisant des tomates cerises, l’eau dessalée est rentable grâce à la haute valeur ajoutée de leurs cultures. Mais pour les petits agriculteurs, elle reste hors de portée, creusant les inégalités dans le secteur.
Un impact environnemental controversé
Le dessalement, bien qu’efficace, soulève des préoccupations environnementales. La production d’eau dessalée consomme une grande quantité d’énergie électrique, augmentant l’empreinte carbone des exploitations. De plus, les rejets de saumure, un sous-produit salé, peuvent nuire aux écosystèmes marins. Les autorités locales affirment que des dispositifs de dilution sont utilisés pour minimiser cet impact, mais les experts restent prudents.
Un agronome souligne :
Les rejets de saumure ont un impact sur les écosystèmes marins, et la consommation énergétique est un vrai défi.
Face à ces critiques, des efforts sont faits pour rendre le dessalement plus durable, notamment en intégrant des énergies renouvelables comme le solaire pour alimenter les stations.
Une solution pour l’avenir ?
Le Maroc ambitionne d’augmenter sa capacité de dessalement à 1,7 milliard de m³ par an d’ici 2030, contre 270 millions actuellement. Avec 16 stations en activité, le pays mise sur cette technologie pour sécuriser son agriculture et son approvisionnement en eau potable. Mais le coût élevé et les défis environnementaux exigent des innovations constantes.
Pour les agriculteurs de Chtouka, le dessalement a déjà changé la donne. Un exploitant, qui a étendu sa production grâce à cette eau, partage son enthousiasme :
Avant, j’étais limité par l’eau des nappes. Aujourd’hui, je cultive 20 hectares, et 60 % de ma production part à l’export.
Cette réussite illustre le potentiel du dessalement, mais aussi ses limites. Seules les cultures à haute valeur, comme les tomates ou l’arboriculture, peuvent absorber les coûts. Pour les petits agriculteurs, l’accès à cette ressource reste un défi.
Un équilibre à trouver
Le dessalement est une réponse audacieuse à la crise hydrique, mais il ne peut être la seule solution. Les experts appellent à une gestion intégrée des ressources en eau, combinant dessalement, conservation des nappes phréatiques et pratiques agricoles durables. Voici quelques pistes envisagées :
- Investir dans des technologies moins énergivores pour le dessalement.
- Subventionner l’accès à l’eau dessalée pour les petits agriculteurs.
- Promouvoir des cultures moins gourmandes en eau.
- Renforcer la surveillance des impacts environnementaux des stations.
En attendant, le dessalement reste une arme à double tranchant : indispensable pour la survie de l’agriculture dans des régions comme le Souss-Massa, mais exigeant des sacrifices financiers et environnementaux.
Aspect | Avantages | Inconvénients |
---|---|---|
Économique | Préserve emplois et exportations | Coût élevé pour les petits agriculteurs |
Environnemental | Sécurise l’approvisionnement en eau | Consommation énergétique et rejets de saumure |
Social | Soutient les communautés rurales | Inégalités d’accès à l’eau |
Le Maroc se trouve à un tournant. Le dessalement a permis de repousser les limites imposées par la sécheresse, mais son succès dépendra de la capacité à rendre cette technologie plus accessible et durable. Pour les agriculteurs de Chtouka, c’est une question de survie, comme le résume une responsable agricole :
Soit on accepte de sacrifier une partie de nos marges, soit on disparaît.
Alors que le pays continue d’investir dans le dessalement, l’avenir de son agriculture repose sur un équilibre délicat entre innovation, équité et respect de l’environnement. Une chose est sûre : l’eau dessalée a redonné espoir à une région assoiffée, mais le chemin vers une solution durable est encore long.