Un séisme silencieux secoue le corps enseignant français. Selon un sondage Ifop, près d’un professeur sur cinq envisage de voter pour l’extrême droite aux prochaines élections législatives. Un chiffre multiplié par six en seulement douze ans. Comment en est-on arrivé là ?
Le déclassement des profs, terreau du vote RN
Pour Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, cette évolution n’a rien de surprenant au vu des multiples crises qui ont ébranlé l’Éducation nationale cette dernière décennie. Covid, réformes en série, manque de personnel, attentats, menaces, contestation de la laïcité… Autant de facteurs qui ont nourri chez les enseignants un profond sentiment d’abandon et de déclassement. Or, ce sont précisément ces ressentiments qui alimentent le vote RN.
Tous ces problèmes n’existaient pas dans ces proportions il y a dix ans. Ils ont contribué à alimenter un fort sentiment d’abandon, de mépris, et de déclassement des professeurs.
– Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS
Des profs désabusés qui se radicalisent
Mais les enseignants de gauche ne sont pas en reste. S’ils restent majoritaires, ils se font plus radicaux sur certains sujets. Ainsi, 42% d’entre eux se disent favorables au passage à un modèle de démocratie multiculturelle, en rupture avec le modèle républicain français. Un chiffre qu’un Luc Rouban juge “effrayant”.
Un électorat symbolique mais peu influent
Avec 1,2 million d’électeurs sur 48,8 millions, le vote enseignant reste trop faible pour faire basculer une élection nationale. D’autant que l’abstention y est aussi forte qu’ailleurs. Mais pour le chercheur, ce glissement à l’extrême droite d’une partie de l'”élite éduquée” est lourd de sens :
Ce n’est plus vrai de dire que les électeurs du RN ne sont pas diplômés.
– Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS
L’école, miroir des fractures françaises
Plus qu’un simple sondage catégoriel, le vote des enseignants est le symptôme d’un malaise bien plus profond. Il révèle les profondes fractures qui traversent la société française et la remise en cause de ses fondements républicains. Laïcité contestée, autorité bafouée, communautarisme… L’école se retrouve en première ligne de tous les combats idéologiques qui agitent le pays.
Face à ces défis, l’institution peine à réagir, oscillant entre réformes précipitées et immobilisme. Résultat : les professeurs se sentent abandonnés, livrés à eux-mêmes pour défendre un modèle républicain chaque jour un peu plus fragilisé. Certains cèdent à la tentation des solutions radicales, d’autres se réfugient dans un multiculturalisme militant. Un éclatement des repères qui fait le jeu des extrêmes.
Il est urgent de réinvestir massivement dans l’école, de revaloriser le métier d’enseignant et de réaffirmer le rôle intégrateur de l’Éducation nationale. Faute de quoi, le vote RN chez les profs risque fort de continuer sa progression. Avec le risque qu’un jour, il fasse tache d’huile bien au-delà des salles de classe…