Dans le tumulte des embouteillages pakistanais, un véhicule se distingue et impose le silence sur son passage : le Toyota Hilux. Ce robuste pick-up, souvent chargé d’hommes armés à son bord, est devenu bien plus qu’un simple moyen de transport au Pakistan. Il incarne désormais le pouvoir absolu dans un pays où la richesse et le statut social dictent leur loi.
Le Hilux, un symbole de pouvoir omniprésent
Du nord au sud du Pakistan, le Toyota Hilux s’est imposé comme un incontournable de la vie politique et sociale. C’est depuis l’arrière de cet imposant véhicule que les politiciens haranguent les foules lors de leurs meetings, affichant ainsi leur influence. Même l’ancien Premier ministre Imran Khan a été vu à bord d’un Hilux après avoir été extrait d’un tribunal par les forces spéciales.
Mais le Hilux n’est pas réservé qu’aux hommes politiques. Hommes d’affaires, VIP et personnes influentes en tout genre s’affichent fièrement au volant ou à l’arrière de modèles Vigo, Revo, Rocco ou Tundra, noms évocateurs de puissance. Les vitres teintées ajoutent une aura de mystère et de pouvoir à leurs occupants.
Un véhicule polyvalent qui s’adapte à tous les terrains
Au-delà de son aspect ostentatoire, le Toyota Hilux est plébiscité pour ses capacités tout-terrain exceptionnelles. Dans un pays à la géographie accidentée, ce pick-up permet aux politiciens de sillonner les routes escarpées de leurs circonscriptions et d’assister aux événements, même dans les villages les plus reculés. Un atout indéniable pour rester proche de son électorat.
« Si je n’ai pas de Hilux, mon concurrent en a un et mes électeurs attendront de moi que j’aille comme lui les visiter partout », martèle Ali Warraich, député du Pendjab.
Un marqueur social qui fait rêver et intimide
Autrefois réservé aux grands propriétaires terriens, le Hilux a rapidement conquis les villes pakistanaises. Surnommé « Dala », ce qui signifie « embarquer » en ourdou, il est devenu le symbole par excellence de la réussite et du prestige. Se déplacer en Hilux, c’est affirmer son statut et se faire respecter, voire craindre, dans un pays marqué par de fortes inégalités sociales.
« C’est un produit de première nécessité », assure le député Sajjad Ali Soomro. « On ne peut quasiment pas faire de politique sans. »
Mais si le Hilux fait rêver, il est aussi synonyme de cauchemar pour certains. Les forces de l’ordre et les agences de renseignement l’utilisent pour embarquer et intimider leurs opposants. Ahmad Farhad, journaliste critique du pouvoir, en a fait les frais. Depuis son arrestation brutale, la vue d’un Dala ravive en lui le traumatisme de sa détention.
Un incontournable qui roule aussi pour le crime
Dans les rues de Karachi, mégapole gangrénée par la criminalité, le Toyota Hilux joue un rôle ambigu. Les malfaiteurs hésitent à s’attaquer à ces véhicules imposants, souvent associés à des individus influents. Quant aux checkpoints de police, ils ont tendance à laisser passer les Hilux sans contrôle, de peur de s’attirer des ennuis.
Ironie du sort, certains louent même des Hilux pour leur cortège de mariage, espérant ainsi s’offrir un peu du prestige associé à ces véhicules. Une tendance qui révulse Mohammad, militant d’opposition : « A chaque fois que je vois ce pick-up, je revis le traumatisme de ma détention », confie-t-il sous couvert d’anonymat.
Symbole d’un pouvoir qui fascine autant qu’il effraie, le Toyota Hilux règne ainsi en maître sur les routes pakistanaises. Objet de convoitise ultime dans une société profondément inégalitaire, il est le reflet d’un pays où l’apparence et le statut priment sur tout, quitte à écraser les plus faibles. Un phénomène qui en dit long sur les dérives d’une nation au bord de l’implosion.