Au cœur de la Russie, les planches des théâtres tremblent. Non pas sous les applaudissements, mais sous la pression d’un gouvernement qui resserre son étau sur la liberté artistique. Depuis le début du conflit en Ukraine, la scène théâtrale russe, jusqu’ici îlot de relative liberté, voit ses artistes emprisonnés, ses spectacles annulés, ses auteurs dénoncés. Face au retour en force des valeurs conservatrices et à la répression grandissante, le monde du théâtre tente de survivre sans vendre son âme.
Le procès qui fait trembler le milieu théâtral
L’affaire Evguénia Berkovitch et Svetlana Petreïtchouk cristallise ces menaces qui pèsent sur les artistes. Ces deux femmes, respectivement metteuse en scène et dramaturge de talent, risquent 7 ans de prison pour leur pièce de 2020 sur des Russes rejoignant Daech. Ironiquement, l’œuvre dénonce le terrorisme mais c’est leur opposition à la guerre en Ukraine qui semble réellement visée.
Pour la première fois, une œuvre artistique est le motif officiel d’une incarcération d’artistes.
Irina Kouzmina, critique
En deux ans, au moins 30 metteurs en scène ont quitté le pays ou ont été limogés. Une soixantaine de spectacles ont été déprogrammés. Les dénonciations pleuvent, même contre des classiques accusés de “russophobie”. Le conservatisme ambiant dicte sa loi.
S’adapter pour continuer à créer
Pour échapper à la censure, les théâtres rusent. Ils se réfugient dans les grands classiques, usent de métaphores et d’allusions. Mais la peur s’est installée et les langues se délient moins facilement. « Je dois coexister avec des gens qui pensent autrement. Ça a toujours été comme ça mais c’est encore plus fort en ce moment », confie Anton Fiodorov, metteur en scène engagé.
- Les artistes multiplient les stratagèmes pour continuer à s’exprimer
- Les spectateurs viennent chercher au théâtre un espace de réflexion et d’évasion
Le théâtre comme arme idéologique
Avec près de 1000 salles de spectacle fréquentées par un quart de la population, le théâtre en Russie revêt un enjeu stratégique majeur. Certains militent pour un art dramatique aligné sur la propagande officielle, à l’image de la pièce pro-guerre “Les ombres du Donbass”. Mais beaucoup d’autres font de la résistance, souvent discrète, pour défendre un bastion de libre pensée.
En temps de guerre, il faut choisir son camp : soit on est avec son pays, soit on est contre.
Oleg Roï, dramaturge pro-gouvernemental
Privés de financements, poursuivis en justice, poussés à l’exil, les artistes contestataires paient le prix fort de leur insoumission. Mais malgré les risques, le théâtre russe refuse de devenir une scène de propagande et préfère avancer masqué pour continuer à faire réfléchir et à émouvoir. Métaphores, retour aux classiques, double sens… La créativité reste le meilleur rempart contre l’oppression.
Dans une Russie en plein virage idéologique, le théâtre s’impose comme un refuge précieux pour la liberté d’expression. Malgré les pressions et la peur, les artistes russes font preuve d’une résilience et d’une inventivité admirables pour ne pas renoncer à leur art et à leurs valeurs. Un combat courageux et vital pour empêcher le rideau de tomber sur l’esprit critique.