Coup de théâtre dans les relations franco-tchadiennes. Alors que Paris venait d’annoncer à la surprise générale la suspension de l’accord de coopération militaire liant les deux pays, les autorités tchadiennes ont révélé ce jeudi 26 décembre qu’une première base française, celle de Faya, venait d’être officiellement rétrocédée à l’armée nationale. Un acte lourd de sens qui marque un tournant majeur dans le dispositif militaire français déployé depuis des années dans ce pays stratégique, pilier de la lutte anti-jihadiste au Sahel.
Paris plie bagage, N’Djamena reprend les clés
C’est par un communiqué laconique que l’état-major tchadien a officialisé la nouvelle, précisant que les prochaines étapes du désengagement français concerneraient les bases d’Abéché puis de N’Djamena. Un retrait qui s’annonce précipité puisqu’il intervient à peine un mois après la décision de suspension de l’accord de défense par la France, une décision qui avait suscité incompréhension et crispations côté tchadien.
Des tensions croissantes
Selon des sources proches du dossier, ce retrait accéléré témoignerait de la dégradation des relations entre Paris et le régime du président Mahamat Idriss Déby, qui a succédé à son père il y a deux ans. Malgré le soutien initial de la France à cette transition, des dissensions seraient apparues ces derniers mois, N’Djamena reprochant à son allié un manque de clarté dans son engagement. La suspension unilatérale de l’accord militaire par Paris aurait fini de briser la confiance.
Les Tchadiens ont le sentiment que la France veut garder le contrôle sur leur armée et leur politique. Ils ne le supportent plus.
– Un diplomate occidental à N’Djamena
Un virage stratégique majeur
Pour nombre d’analystes, ce retrait français du Tchad s’inscrit dans une tendance de fond qui voit l’influence de l’ancienne puissance coloniale s’effriter en Afrique, au profit de nouveaux acteurs comme la Russie ou la Chine. Après le Mali ou le Burkina Faso, le Tchad semblerait vouloir reprendre le contrôle de sa souveraineté militaire et diversifier ses partenariats.
Un virage qui suscite inquiétude et interrogations quant à l’évolution sécuritaire d’une région sous la menace jihadiste, où les forces françaises jouaient jusqu’ici un rôle clé. Avec plus de 5000 hommes au Sahel dans le cadre de l’opération Barkhane, appelée à se réarticuler, la France voit son dispositif et son approche remis en cause.
Une transition politique sous surveillance
Cette évolution intervient alors qu’à N’Djamena, le pouvoir de Mahamat Déby reste contesté, plus de deux ans après sa prise de pouvoir à la tête d’une junte militaire. Malgré la promesse d’une transition vers un régime civil, le processus apparaît pour beaucoup comme une transmission dynastique du père au fils, attisant tensions et défiance.
La question de l’organisation d’élections libres, maintes fois repoussées, sera scrutée de près dans les prochains mois, tout comme l’attitude de l’armée, colonne vertébrale du pays mais traversée de rivalités internes. Pour Paris, grand allié historique du défunt président Idriss Déby, la gestion de ce virage tchadien s’annonce délicate et potentiellement lourde de conséquences.
Vers un nouveau chapitre des relations franco-tchadiennes ?
Si le retrait actuel apparaît comme un camouflet pour la France, nombre d’observateurs estiment qu’il ne signifie pas pour autant la fin de la relation stratégique tissée avec ce pays depuis son indépendance. Les enjeux sécuritaires, mais aussi économiques, notamment pétroliers, resteraient trop importants pour que Paris se détourne totalement de N’Djamena.
Mais c’est désormais sur des bases renouvelées, dans un rapport de forces rééquilibré, que devra se reconstruire ce partenariat. Un défi de taille pour la diplomatie française, face à un allié tchadien en quête de nouvelles marges de manœuvre et des opinions publiques de plus en plus hostiles à l’influence de l’ancienne métropole. Le temps où une base militaire se cédait par un simple coup de téléphone entre présidents semble désormais révolu.
Cette rétrocession hautement symbolique de la base de Faya n’est sans doute qu’une première étape. Elle augure en tout cas d’une recomposition profonde et probablement douloureuse de la présence française en Afrique. Un virage qui s’annonce comme l’un des grands dossiers diplomatiques et militaires des prochaines années. Avec le Tchad comme baromètre mais aussi comme acteur déterminant d’une région en pleine ébullition.