En ce mercredi décisif, les électeurs du Somaliland se rendent aux urnes pour choisir leur prochain président. Un moment charnière pour cette république autoproclamée, en quête de reconnaissance internationale, dont l’avenir agite toute la Corne de l’Afrique. L’issue du scrutin pourrait bien faire basculer les équilibres géopolitiques de la région.
Un territoire en quête de souveraineté
Ancienne colonie britannique ayant fait sécession de la Somalie en 1991, le Somaliland fonctionne de facto comme un Etat indépendant depuis plus de trois décennies. Mais malgré sa stabilité politique et sécuritaire, contrastant avec le chaos somalien, aucun pays ne l’a encore reconnu officiellement.
Pourtant, sa position stratégique à l’entrée du détroit de Bab el-Mandeb, sur l’une des routes commerciales les plus fréquentées au monde, attise bien des convoitises. La reconnaissance de sa souveraineté est devenue l’enjeu central de sa politique étrangère, une quête existentielle pour ce territoire pauvre mais ambitieux.
Un accord avec l’Éthiopie qui fait des vagues
En janvier dernier, la signature d’un protocole d’accord controversé avec l’Éthiopie a fait franchir un cap dans cette bataille diplomatique. Selon des sources proches du dossier, Addis-Abeba s’engagerait à reconnaître formellement le Somaliland en échange de la location de 20 km de côtes.
Une perspective qui a déclenché l’ire de la Somalie, y voyant une atteinte intolérable à sa souveraineté. Depuis, la tension est montée d’un cran entre les deux voisins de la Corne, avec une escalade verbale et militaire qui inquiète la communauté internationale. L’ombre de ce bras de fer plane sur l’élection présidentielle somalilandaise.
Trois candidats, deux visions
Environ 1,2 million d’électeurs doivent départager les trois prétendants à la magistrature suprême : le président sortant Muse Bihi Abdi, l’ancien diplomate Abdirahman Mohamed Abdullahi, dit « Irro », et Faysal Ali Warabe, leader d’un parti d’opposition. Au cœur de leurs programmes, deux approches divergentes sur la conduite à tenir pour arracher cette reconnaissance tant espérée.
Muse Bihi, qui brigue un second mandat à 72 ans, mise tout sur l’accord avec l’Éthiopie, affirmant qu’il ouvrira enfin les portes de la souveraineté au Somaliland. Une ligne offensive saluée par ses partisans, mais décriée par ses adversaires, qui l’accusent de jouer avec le feu au risque d’attiser les tensions régionales.
Nous voulons que Muse Bihi continue à développer le Somaliland vers la reconnaissance, c’est une question d’honneur national !
Ayaan, 22 ans, supportrice du président sortant
En face, « Irro », 68 ans, ancien président du Parlement, prône une approche plus mesurée et inclusive. Sans remettre en cause l’accord éthiopien, il insiste sur la nécessité de restaurer l’unité et la stabilité intérieure, mises à mal par des conflits claniques attisés selon lui par le pouvoir en place.
Le Somaliland a besoin d’un rassembleur pour avancer sereinement vers son destin. C’est tout le sens de mon engagement.
Abdirahman « Irro », candidat de l’opposition
Une stabilité fragilisée par des tensions
Car l’image d’îlot de stabilité du Somaliland a été écornée ces derniers mois. Des affrontements meurtriers l’ont opposé dans l’est à une milice pro-Mogadiscio, entraînant des centaines de morts et près de 200 000 déplacés. L’armée s’est finalement retirée d’une partie de la zone contestée en août dernier.
Un revers pour Muse Bihi, fragilisé par des critiques sur sa gestion sécuritaire et économique. Inflation, chômage, pauvreté : les défis intérieurs restent immenses pour le Somaliland, qui peine à décoller malgré des potentialités certaines.
Au-delà des enjeux locaux, ce sont bien les équilibres de toute la Corne de l’Afrique qui se jouent dans les urnes somalilandaises ce mercredi. Entre volonté d’émancipation, jeux d’influence et risques de déstabilisation, l’issue du scrutin sera scrutée bien au-delà des frontières de cette république en quête de destin.