Le paysage politique sénégalais connaît des bouleversements majeurs suite au triomphe électoral du parti d’Ousmane Sonko aux dernières législatives. Cet homme politique charismatique, qui avait déjà orchestré la victoire de son second Bassirou Diomaye Faye à la présidentielle de mars dernier, se retrouve aujourd’hui au centre de toutes les attentions. Le pays s’interroge désormais sur le rôle que jouera Sonko dans la nouvelle configuration politique.
Sonko, l’indispensable stratège
Ingénieux et opiniâtre, Ousmane Sonko a su manœuvrer habilement pour mener son parti à la victoire, d’abord à la présidentielle puis aux législatives. Sa figure emblématique de la contestation antisystème en a fait le héraut d’un Sénégal nouveau. Nommé Premier ministre par le président Faye, il forme avec ce dernier un duo remarquable depuis huit mois, se répartissant intelligemment les rôles – affaires étrangères pour l’un, intérieur pour l’autre.
La prééminence de Sonko ne fait plus de doute après ce nouveau raz-de-marée électoral. Comme le souligne l’enseignant chercheur El Hadji Mamadou Mbaye, le leadership de cet homme est désormais “définitivement consacré”. Le président Faye lui-même ne doit sa légitimité qu’à son Premier ministre, qui l’avait propulsé quand sa propre candidature avait été invalidée.
Le dilemme cornélien de Sonko
Mais cette situation inédite soulève des questions. Que fera Ousmane Sonko, lui qui détient la faveur des électeurs sans pour autant occuper la magistrature suprême ? Certains, comme l’ancien ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall, y voient une “incongruité à corriger d’urgence”.
Beaucoup appellent Sonko à quitter son poste de Premier ministre pour présider l’Assemblée nationale. Une position qui lui permettrait, selon eux, de promouvoir le pouvoir parlementaire et de contribuer à l’équilibre des pouvoirs. C’est notamment l’avis d’Alioune Tine, figure de la société civile, pour qui Sonko “peut transformer la société” à la tête du Parlement.
Les risques d’une dyarchie
Mais d’autres s’inquiètent des risques de dyarchie si les deux hommes n’étaient plus sur la même longueur d’onde. Le spectre de l’épreuve de force de 1962 entre le président Senghor et son Premier ministre Mamadou Dia, qui s’était soldée par la condamnation de ce dernier à perpétuité, refait surface.
Pour le professeur de sciences politiques Maurice Soudieck Dione, la nomination d’un Premier ministre “technocrate” et la migration de Sonko vers l’Assemblée permettraient “d’éviter ces risques de dyarchie”. Cela préserverait aussi la possibilité pour Sonko de se présenter à la présidentielle de 2029, en le mettant à l’abri des attaques liées à la fonction de Premier ministre.
Sonko restera-t-il aux manettes de l’exécutif ?
Mais beaucoup doutent que Sonko renonce à une position où “il contrôle la politique de la Nation”, pour reprendre les mots de M. Mbaye. Interrogé juste avant les législatives, le principal intéressé est resté évasif :
Est-ce que vous avez déjà vu au Sénégal une tête de liste quitter le gouvernement pour aller siéger à l’Assemblée ?
Nous ne sommes pas encore à ce niveau. Ce sont les députés qui choisiront (…) Ce sera un autre débat quand le moment sera arrivé.
– Ousmane Sonko, dans un entretien à Walf TV
Son parti, le Pastef, refuse également de se laisser enfermer dans ce débat. Comme le dit le député Amadou Ba, “celui qui a défini la stratégie gagnante de Pastef depuis dix ans sait ce qui est dans l’intérêt stratégique du Sénégal”.
L’avenir dira le chemin choisi
À l’heure actuelle, difficile donc de prédire avec certitude quel chemin choisira Ousmane Sonko. Mais une chose est sûre : de Premier ministre ou président de l’Assemblée, il sera dans les deux cas un acteur central et incontournable de la vie politique sénégalaise des prochaines années.
Les prochaines semaines seront décisives et nous en diront sans doute plus sur la feuille de route que se fixe cet homme politique hors normes. Quelles que soient les décisions qu’il prenne, elles façonneront durablement les institutions et l’avenir du Sénégal. Le pays retient son souffle, conscient d’être à un tournant de son histoire politique.