Malgré une loi d’amnistie votée en mars dernier à l’initiative de l’ancien président Macky Sall, couvrant les violences politiques qui ont fait des dizaines de morts entre 2021 et 2024, le nouveau gouvernement sénégalais s’engage à faire « toute la lumière » sur ces événements tragiques. Une promesse de justice qui suscite autant d’espoir que de scepticisme.
Un lourd passé de tensions et de répression
Le Sénégal, longtemps considéré comme un modèle de stabilité en Afrique de l’Ouest, a connu ces dernières années une période troublée, marquée par des affrontements violents entre manifestants et forces de sécurité. Au cœur de ces tensions, un bras de fer politique entre l’ex-président Macky Sall, soupçonné de vouloir briguer un 3ème mandat anticonstitutionnel, et l’opposition menée par Ousmane Sonko, devenu depuis Premier ministre.
Selon des ONG et l’opposition de l’époque, la confrontation aurait fait des dizaines de victimes, tandis que des centaines de personnes ont été arrêtées. Un bilan humain lourd, symptôme d’une dérive autoritaire dénoncée par de nombreux observateurs.
L’amnistie de mars 2024 : apaisement ou déni de justice ?
À l’approche de l’élection présidentielle de 2024, et dans un contexte de vive tension, l’ancien président Macky Sall avait fait voter en mars une loi d’amnistie couvrant les faits de violences. Une mesure présentée comme un geste d’apaisement, ayant permis la libération de centaines de détenus, dont les actuels président Bassirou Diomaye Faye et Premier ministre Ousmane Sonko.
Mais pour les familles de victimes et des organisations de défense des droits humains, cette amnistie s’apparente davantage à un déni de justice, empêchant que la lumière soit faite sur les responsabilités dans ces événements sanglants. Un sentiment renforcé par le flou entretenu jusqu’au bout par l’ex-président Sall sur ses intentions de briguer ou non un 3ème mandat.
Le nouveau pouvoir face au défi de la vérité et de la justice
Élu en mars dernier, le président Bassirou Diomaye Faye, tout comme son Premier ministre Ousmane Sonko, ont promis durant la campagne d’abroger la loi d’amnistie et de tout mettre en œuvre pour que justice soit rendue aux victimes. Un engagement réaffirmé ce samedi par le ministre de la Justice, Ousmane Diagne :
Que ces morts puissent rester impunis, ce serait un mauvais signal. Ce serait asseoir un climat d’insécurité. Nous allons nous assurer que toute la lumière soit faite » sur ces événements. (…) « Les responsabilités seront situées et les commanditaires répondront de leurs actes.
– Ousmane Diagne, Ministre de la Justice du Sénégal
Des paroles fortes, saluées par les associations de victimes, mais qui devront rapidement se traduire en actes concrets pour convaincre. Car la tâche s’annonce ardue pour le nouveau pouvoir, qui devra démêler l’écheveau de responsabilités et potentiellement affronter des résistances au sein de l’appareil d’État.
La société civile sénégalaise vigilante
De leur côté, les organisations de la société civile sénégalaise entendent maintenir la pression sur le gouvernement pour que ces engagements soient tenus. Mobilisées de longue date sur ces questions, elles appellent à la création d’une commission d’enquête indépendante pour faire la lumière sur les violences et obtenir justice.
Certains activistes, à l’image d’Alioune Tine, fondateur du think tank AfrikaJom Center, mettent toutefois en garde contre les risques de « chasse aux sorcières » ou d’instrumentalisation politique d’un tel processus. Et plaident pour une approche équilibrée, tournée vers la manifestation de la vérité, la réparation pour les victimes et leurs familles, ainsi que des réformes profondes pour prévenir la répétition de tels drames.
Au-delà du sort des responsables, c’est donc la capacité du Sénégal à tirer les leçons de ce passé douloureux et à réinventer un modèle démocratique plus apaisé et inclusif qui est en jeu. Un défi majeur pour le nouveau pouvoir, qui ambitionne de tourner la page des années Sall et de réconcilier les Sénégalais autour d’un projet progressiste de justice sociale et de panafricanisme.
La promesse de justice formulée ce week-end constitue un premier test pour mesurer la détermination et la crédibilité de cette nouvelle équipe aux commandes du pays. Dans un contexte social et économique qui reste tendu, avec de fortes attentes de la population, beaucoup attendront des signaux forts et rapides pour ne pas perdre espoir.
Faire la lumière sur les pages sombres du passé, rendre justice aux victimes, tout en œuvrant à la concorde nationale : l’équation est complexe pour le président Faye et son gouvernement, qui jouent une part de leur légitimité dans cette séquence. Mais il en va de la consolidation encore fragile de la démocratie sénégalaise, et de sa capacité à répondre aux aspirations profondes de son peuple, dans la fidélité aux idéaux de l’indépendance.