Face à la recrudescence des cas de soumission chimique, en particulier dans les lieux de sorties nocturnes, le gouvernement britannique a décidé d’agir. Lundi, Downing Street a annoncé la création d’une infraction pénale spécifique pour réprimer cette pratique consistant à droguer une personne à son insu, le plus souvent en versant une substance dans son verre.
Jusqu’à présent, les cas de soumission chimique relevaient de plusieurs législations (répression des drogues, agressions sexuelles), compliquant le travail des forces de l’ordre et de la justice. En créant un délit distinct, le gouvernement espère faciliter les poursuites et renforcer la protection des victimes, très majoritairement des femmes.
Un plan d’action global pour sécuriser la vie nocturne
Le Premier ministre Keir Starmer a convoqué lundi des représentants de la police, des établissements de nuit et des transports pour coordonner la lutte contre cet « acte lâche ». L’objectif : mieux protéger les femmes lors des sorties nocturnes grâce à un plan d’action global.
Parmi les mesures phares, la formation de 10 000 employés de bars et pubs d’ici le printemps 2025. Ils apprendront à repérer les cas de soumission chimique, à prendre en charge les victimes et à réunir des preuves pour faciliter les enquêtes.
Il peut être incroyablement difficile pour les victimes de signaler ces crimes odieux, et ces affaires sont souvent très compliquées à traduire en justice.
Keir Starmer, Premier ministre britannique
En créant un délit spécifique, le gouvernement veut encourager les victimes à porter plainte et garantir une réponse ferme de la police face à ces « crimes épouvantables », a souligné la ministre de l’Intérieur Yvette Cooper.
Près de 7000 signalements en un an
Entre mai 2022 et avril 2023, la police britannique a reçu pas moins de 6 732 signalements pour soumission chimique. Près d’un millier de ces cas sont liés à des piqûres, une variante de plus en plus répandue.
Mais selon un sondage YouGov de décembre 2022, ces chiffres ne reflètent qu’une partie du phénomène. 10% des femmes et 5% des hommes disent avoir déjà été victimes de soumission chimique au Royaume-Uni. La majorité des cas ne sont pas déclarés, souvent parce que les victimes n’ont pas identifié les symptômes sur le moment.
Un défi pour la police scientifique
Prouver la soumission chimique représente un véritable casse-tête pour les enquêteurs. Les drogues utilisées, comme le GHB, sont rapidement éliminées par l’organisme. Si la victime tarde à réaliser ce qui lui est arrivé, il devient quasi impossible de détecter la substance.
Le procès en cours des viols de Mazan en France illustre la complexité de ces affaires. Les experts ont retrouvé des traces de GHB chez plusieurs victimes. Mais il semble très difficile d’établir avec certitude qu’il s’agit de la drogue utilisée par le violeur présumé, faute de tests effectués dans les bonnes conditions.
- Des protocoles de prélèvements existent mais sont peu connus du public et des professionnels de santé
- Les kits de détection sont onéreux et rarement disponibles dans les services d’urgences
- Les prélèvements doivent être réalisés rapidement après les faits, idéalement dans les 12 premières heures
Un enjeu de santé publique
Détecter au plus vite et prendre en charge les victimes de soumission chimique constitue un véritable enjeu de santé publique. Les conséquences psychologiques et physiques peuvent être dévastatrices.
Après avoir été droguée en boîte de nuit, j’ai vécu l’enfer. J’avais honte, je me sentais coupable. J’étais terrifiée à l’idée de ressortir. Il m’a fallu des mois pour retrouver une vie normale.
Sophie, 28 ans, victime de soumission chimique
En plus du traumatisme, les victimes s’exposent à des risques sanitaires : overdose, troubles respiratoires, coma, décès dans les cas les plus graves. Sans oublier les dangers liés aux agressions sexuelles facilitées par l’état d’inconscience.
Un phénomène qui touche tous les milieux
Si les jeunes et les lieux festifs sont particulièrement exposés, la soumission chimique ne se limite pas au monde de la nuit. Des cas ont été rapportés dans des contextes très variés :
- Soirées privées, mariages, anniversaires
- Festivals, concerts, rave parties
- Bars, pubs, restaurants
- Transports en commun, taxis
- Milieu professionnel, afterworks
Aucun milieu n’est épargné, d’où l’importance d’une prise de conscience générale. Hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, tous peuvent un jour être confrontés à ce fléau, de près ou de loin.
Une mobilisation à tous les niveaux
Au-delà de la réponse pénale, la lutte contre la soumission chimique passe par une action coordonnée impliquant de multiples acteurs : pouvoirs publics, professionnels, associations, citoyens.
Des campagnes de sensibilisation comme « Where is Angela » au Royaume-Uni ou « Demandez Angela » en France visent à créer des réflexes de vigilance et de solidarité dans les lieux de sortie. Le personnel est formé à réagir discrètement si un client « demande Angela », signalant ainsi qu’il se sent en danger.
Des applications mobiles comme Noxxy ou AngelShot permettent de déclencher une alerte géolocalisée en cas de problème, avertissant ses contacts de confiance.
Certains pubs testent des dispositifs de détection de GHB et autres « drogues du viol », à l’image du projet Xantus mené dans le Devon et les Cornouailles. Les clients peuvent faire tester gratuitement leurs boissons s’ils ont un doute.
Vers une responsabilisation des établissements ?
Pour beaucoup, les bars, boîtes et organisateurs d’événements devraient assumer davantage leurs responsabilités dans la prévention des soumissions chimiques. Plusieurs pistes sont évoquées :
- Généraliser la formation des employés
- Renforcer la sécurité et les contrôles à l’entrée
- Mettre à disposition gratuitement des capuchons anti-intrusion pour les verres
- Proposer des kits de détection de drogue
- Faciliter le dépôt de plainte et la collecte de preuves
Certains pays comme la Belgique ou l’Australie ont même instauré une responsabilité légale des établissements en cas de manquements dans la prévention. Une piste qui fait débat mais pourrait accélérer la mobilisation.
En attendant, l’initiative britannique marque un tournant dans la lutte contre la soumission chimique. Reste à espérer qu’elle inspirera d’autres pays et contribuera à faire reculer ce fléau qui empoisonne la vie de tant de personnes.