Imaginez un bol de riz parfaitement cuit, ses grains brillants et collants, au cœur de chaque repas japonais. Ce n’est pas seulement un aliment, c’est une tradition, un symbole d’identité. Pourtant, ce trésor national est aujourd’hui au centre d’un bras de fer commercial avec les États-Unis. Donald Trump, connu pour ses exigences musclées, presse le Japon d’importer davantage de riz américain, menaçant de surtaxes sévères. Pour le Premier ministre japonais Shigeru Ishiba, la décision est un casse-tête : céder pourrait apaiser les tensions commerciales, mais au prix d’un choc culturel et politique à l’approche d’élections cruciales.
Le Riz, Cœur de l’Identité Japonaise
Le riz n’est pas qu’une céréale au Japon : il est le pilier de la culture, de l’histoire et même de la spiritualité. Dans les campagnes japonaises, les rizières en terrasses dessinent des paysages d’une beauté intemporelle, tandis que les rituels shintoïstes honorent cette denrée sacrée. Pour les Japonais, un bol de riz local, avec sa texture unique et son goût délicat, est inimitable.
Shinichi Katayama, grossiste en riz à Tokyo depuis quatre générations, incarne cette passion. Son entreprise, vieille de 120 ans, témoigne de l’attachement des Japonais à leur riz. « C’est plus qu’un aliment, c’est une passion culturelle et historique », explique-t-il. Pourtant, cette tradition est aujourd’hui menacée par des pressions extérieures.
Trump et la Pression Commerciale
Donald Trump a mis le Japon dans une position délicate. Depuis des mois, il critique l’excédent commercial du Japon avec les États-Unis, qui s’élève à environ 70 milliards de dollars en 2024. Selon lui, le Japon n’ouvre pas assez son marché, notamment pour le riz et les véhicules américains. Sur Truth Social, il a récemment dénoncé une prétendue « pénurie massive de riz » au Japon, affirmant que les Japonais refusent obstinément le riz américain.
J’ai un grand respect pour le Japon, mais ils refusent notre riz, et pourtant, ils souffrent d’une pénurie massive de riz.
Donald Trump, fin juin 2025
Cette affirmation est contestée. Les experts de BMI FitchSolutions notent que le riz représente à peine 0,37 % des exportations américaines vers le Japon. Même en doublant ces exportations, l’impact sur le déficit commercial serait minime. Pour eux, l’administration Trump semble plus intéressée par des accords spectaculaires que par des résultats concrets.
Un Goût qui Divise
Pour les consommateurs japonais, le riz américain n’est pas à la hauteur. Contrairement au riz japonais, connu pour ses grains courts et sa texture collante, le riz américain, souvent à grains longs, est perçu comme fade. Un souvenir douloureux persiste : en 1993, une pénurie avait forcé le Japon à importer du riz thaïlandais, jugé décevant par beaucoup.
Sueo Matsumoto, un Tokyoïte de 69 ans, est catégorique : « Le riz américain a un goût affreux. Il manque de texture. » Pour lui, les États-Unis doivent s’adapter aux préférences japonaises s’ils veulent pénétrer ce marché. Cette exigence de qualité reflète un attachement profond à la sécurité alimentaire et à la souveraineté nationale.
Pourquoi le riz japonais est-il si particulier ?
- Texture unique : Les grains courts et collants, parfaits pour les sushis ou les plats traditionnels.
- Contrôle qualité : Une production locale rigoureusement surveillée.
- Symbolisme : Lié aux traditions shintoïstes et à l’identité nationale.
Le Dilemme Politique d’Ishiba
Pour Shigeru Ishiba, le timing ne pouvait être pire. À 68 ans, le Premier ministre conservateur traverse une période de turbulences. Sa coalition a perdu sa majorité à la chambre basse en octobre 2024, et les élections à la chambre haute, prévues le 20 juillet 2025, s’annoncent risquées. Une nouvelle défaite pourrait le contraindre à démissionner, moins d’un an après son arrivée au pouvoir.
Céder aux exigences américaines sur le riz pourrait apaiser les tensions commerciales, notamment sur les surtaxes douanières qui frappent déjà l’industrie automobile japonaise (25 %) et l’acier (50 %). Mais politiquement, c’est un terrain miné. Les lobbies agricoles, puissants au Japon, s’opposent farouchement à une ouverture du marché. Pour eux, augmenter les importations serait un affront à la tradition et un risque pour la sécurité alimentaire.
Nous n’avons aucune intention de sacrifier l’agriculture lors des futures négociations.
Yoshimasa Hayashi, porte-parole du gouvernement japonais
Une Crise du Riz au Japon
Le Japon fait face à une flambée des prix du riz, qui ont doublé en un an. Une mauvaise récolte en 2023, des achats paniques l’été dernier et des perturbations dans la distribution ont aggravé la situation. Le gouvernement a tenté de calmer le jeu en puisant dans ses réserves stratégiques, mais les résultats sont mitigés.
Pour les Japonais, cette crise est un rappel des enjeux de la sécurité alimentaire. Shinichi Katayama met en garde : « Si nous devenons dépendants des importations, une nouvelle pénurie pourrait nous frapper en cas de crise. » Cette peur est partagée par beaucoup, qui voient dans le riz local une garantie d’autonomie.
Facteur | Impact sur les prix du riz |
---|---|
Mauvaise récolte 2023 | Réduction de l’offre locale |
Achats paniques | Augmentation de la demande |
Perturbations logistiques | Ralentissement de la distribution |
Un Équilibre Précaire
Shigeru Ishiba marche sur une corde raide. D’un côté, il doit apaiser un partenaire commercial clé pour éviter des surtaxes qui paralyseraient l’économie japonaise. De l’autre, il doit rassurer les agriculteurs et les électeurs, attachés à la préservation de leur riziculture japonaise. Stephen Innes, analyste chez SPI Asset Management, résume la situation : « Ishiba craint de provoquer les puissants lobbies agricoles tout en jonglant avec une popularité en berne. Toute décision audacieuse est politiquement risquée. »
Les électeurs, eux, sont partagés. Yasunari Wakasa, retraité de 77 ans, critique l’inaction du gouvernement : « Ces hausses de prix montrent l’échec des politiques agricoles du Parti libéral-démocrate. » Pourtant, l’idée d’ouvrir le marché au riz étranger reste impopulaire, perçue comme une menace à l’identité nationale.
Vers une Solution Diplomatique ?
Le Japon pourrait-il trouver un compromis ? Une concession sur le riz, si minime soit-elle, pourrait permettre de négocier une baisse des surtaxes sur l’automobile, un secteur clé représentant 30 % des exportations japonaises vers les États-Unis. Mais pour l’instant, le gouvernement reste prudent, affirmant vouloir protéger son agriculture.
Les négociations avec les États-Unis s’annoncent tendues. Trump, avec son style direct, ne semble pas prêt à lâcher du lest. Pourtant, le Japon a des atouts : son industrie automobile et technologique reste indispensable aux États-Unis. Un accord équilibré pourrait bénéficier aux deux parties, mais il exigera un savant dosage de diplomatie et de pragmatisme.
Les enjeux pour le Japon
- Protéger l’identité : Préserver la tradition rizicole face aux pressions étrangères.
- Éviter les surtaxes : Réduire l’impact économique des taxes américaines.
- Stabilité politique : Maintenir la confiance des électeurs avant les élections.
Quel Avenir pour le Riz Japonais ?
Le riz japonais, symbole d’une nation, est à la croisée des chemins. Entre pressions commerciales, enjeux électoraux et crises internes, Shigeru Ishiba doit naviguer avec prudence. Céder au riz américain pourrait apaiser les tensions avec Trump, mais au prix d’un mécontentement populaire. Résister, en revanche, pourrait coûter cher à l’économie japonaise.
Pour les Japonais, le choix est clair : le riz local reste une fierté nationale. Mais dans un monde globalisé, où le commerce dicte les règles, la tradition peut-elle résister aux impératifs économiques ? Les semaines à venir seront décisives, alors que les élections approchent et que les négociations avec les États-Unis s’intensifient.