Dans une décision surprenante, le Tchad a annoncé la fin de 60 années de coopération militaire avec la France le 28 novembre dernier. Ce revirement soudain marque un tournant géostratégique majeur pour le Sahel, région où l’influence française était jusqu’alors prédominante. Retour sur cet événement charnière et ses potentielles répercussions.
Un désengagement militaire précipité
Suite à la rupture des accords de défense, les forces françaises stationnées au Tchad ont entamé un retrait accéléré. Vendredi dernier, un premier contingent de 120 soldats a quitté l’aéroport militaire de N’Djamena à bord d’un Airbus A330 Phoenix MRTT. Ce départ fait suite au rapatriement des avions de chasse français dix jours auparavant.
Malgré la rapidité des opérations, un haut gradé français a tenu à rassurer sur le bon déroulement du désengagement, soulignant l’étroite coordination avec l’armée tchadienne. Un geste diplomatique visant à préserver des liens militaires tissés au fil des décennies.
Le Tchad, dernier bastion français au Sahel
Jusqu’à récemment, le Tchad constituait le dernier point d’ancrage de la présence militaire française en Afrique, après les retraits contraints du Mali, du Burkina Faso et du Niger entre 2022 et 2023. L’arrivée au pouvoir de juntes militaires pro-russes dans ces pays a précipité le désengagement français.
Depuis l’indépendance en 1960, des troupes et avions de combat français étaient déployés en permanence au Tchad. Leur mission : former et entraîner l’armée tchadienne, mais aussi fournir un appui aérien décisif face aux rébellions menaçant le pouvoir en place, comme ce fut le cas dans les années 1960, 1970 et 1980.
Un hub stratégique pour les opérations régionales
Au-delà du soutien au régime tchadien, la base française servait de tremplin pour les interventions dans les pays voisins. Les Mirage stationnés à N’Djamena sont intervenus en Centrafrique lors de l’opération Sangaris au milieu des années 2010, et ont joué un rôle clé dans les opérations anti-djihadistes Serval et Barkhane au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
La perte de ce point d’appui stratégique porte un coup dur aux capacités d’action françaises dans une région en proie à l’instabilité et à la menace terroriste grandissante. Paris doit repenser son dispositif sécuritaire et trouver de nouveaux relais pour préserver ses intérêts.
Des accords « obsolètes » pour une nouvelle ère
Pour justifier cette rupture, le président tchadien Mahamat Idriss Déby a jugé les accords de défense « complètement obsolètes » et inadaptés aux « réalités politiques et géostratégiques » actuelles. Élu en mai 2023 après une transition militaire faisant suite à la mort de son père Idriss Déby Itno, le nouveau dirigeant entend affirmer la souveraineté tchadienne.
Il a cependant nié toute volonté de « remplacer » l’allié français par une autre puissance, dans une allusion à peine voilée à la Russie dont l’influence ne cesse de croître dans la région. Un pari risqué alors que le pays fait face à des rébellions récurrentes, contenues par le passé grâce au soutien militaire de Paris.
Un retrait logistique d’ampleur
Outre les troupes, c’est tout un arsenal qui doit être rapatrié dans les prochaines semaines. Selon le ministère tchadien des Armées, des tonnes d’équipements militaires soigneusement conditionnés attendent d’être embarqués à bord d’un Antonov 124. Les véhicules des bases françaises de Faya-Largeau, Abéché et N’Djamena seront acheminés vers la France via le port de Douala, pour une traversée maritime d’environ trois semaines.
Un retrait logistique d’envergure qui sonne le glas de la présence militaire française permanente au Tchad. Après plus d’un demi-siècle d’une coopération qui a façonné le paysage sécuritaire et politique de la région, l’heure est au questionnement sur l’avenir du Sahel post-Barkhane.
Quelles perspectives pour la sécurité au Sahel ?
Au-delà du cas tchadien, c’est toute l’architecture sécuritaire régionale qui vacille avec le désengagement français. Face aux défis sécuritaires multiples, les États sahéliens devront renforcer leurs capacités autonomes tout en diversifiant leurs partenariats. Un exercice d’équilibriste dans un contexte géopolitique mouvant.
Si la page de la présence militaire française semble se tourner, l’avenir du Sahel reste à écrire. Entre aspirations à la souveraineté, menaces persistantes et jeu d’influences des puissances, la région est à la croisée des chemins. Une nouvelle ère s’ouvre, riche en incertitudes mais aussi en opportunités pour les peuples sahéliens de prendre en main leur destin.