Le réal brésilien traverse une période de turbulence sans précédent. Jeudi, la monnaie sud-américaine a franchi pour la première fois la barre symbolique des 6 réais pour un dollar, atteignant son niveau le plus bas depuis son introduction en 1994. Cette chute historique reflète l’inquiétude grandissante des marchés financiers face aux engagements budgétaires et fiscaux du gouvernement du président Luiz Inacio Lula da Silva.
Une dégringolade qui suscite des interrogations
Selon des sources proches des milieux financiers, le franchissement de ce seuil psychologique de 6 réais pour un dollar a eu l’effet d’un électrochoc. Malgré les bons indicateurs affichés par l’économie brésilienne en termes de croissance, d’emploi et de consommation des ménages, les opérateurs s’inquiètent de la capacité du gouvernement à tenir ses engagements budgétaires. Une défiance qui se traduit par une spéculation accrue sur la devise nationale.
Les annonces du ministre des Finances pas suffisamment rassurantes
Pour tenter de calmer les marchés, le ministre des Finances Fernando Haddad a annoncé mercredi soir un plan d’économies de 70 milliards de réais (environ 11 milliards d’euros) d’ici 2026. Au menu : réduction des dépenses publiques, gel des salaires des fonctionnaires, réforme des retraites des militaires… Des mesures jugées nécessaires pour assurer la « viabilité budgétaire » et construire « un Brésil plus fort, juste et équilibré ».
Mais ces annonces n’ont pas suffi à rassurer les investisseurs. Certains économistes, à l’instar de Mauro Rochlin de la Fondation Getulio Vargas, y voient même « un vrai anticlimax ». « Le marché espérait une série de coupes budgétaires, mais l’annonce a mélangé réduction des dépenses et réduction des impôts, ce qui n’a aucun sens », souligne-t-il, jugeant les mesures du gouvernement de gauche « irresponsables ».
Des perspectives économiques pourtant encourageantes
Paradoxalement, les fondamentaux de l’économie brésilienne restent solides. Le pays affiche une croissance estimée à 3% pour 2024 selon le FMI, soit bien au-dessus de la moyenne latino-américaine. Le taux de chômage est en baisse et la consommation des ménages se maintient. Mais ces signaux positifs ne suffisent pas à apaiser les craintes des marchés quant à la politique budgétaire et fiscale du gouvernement Lula.
Les milieux d’affaires font circuler avec insistance de fausses informations pour spéculer sur les pics de hausse du dollar.
Rui Costa, chef de cabinet du président Lula
Face aux attaques spéculatives, l’entourage du président crie au complot. Rui Costa, chef de cabinet de Lula, accuse les milieux d’affaires de propager des rumeurs pour faire grimper le cours du billet vert. Mais le gouvernement se retrouve sous pression pour atteindre l’objectif d’un déficit budgétaire zéro en 2024, avec une marge de manoeuvre limitée à 0,25% du PIB.
La banque centrale confrontée à un dilemme
Dans ce contexte tendu, la banque centrale brésilienne se retrouve face à un dilemme cornélien. D’un côté, elle doit lutter contre une inflation qui a atteint 4,76% en octobre, bien au-delà de l’objectif officiel de 3%. Ce qui plaiderait pour un durcissement de sa politique monétaire. Mais d’un autre côté, une hausse des taux pourrait peser sur la croissance et aggraver la crise de confiance.
Pour l’heure, le gouvernement Lula mise tout sur son plan d’économies pour rassurer les investisseurs et stabiliser le réal. Selon le ministre Haddad, il faudra geler plus de 860 millions de dollars de dépenses publiques sur le reste de l’année pour atteindre les objectifs budgétaires. Un pari risqué alors que la monnaie brésilienne semble durablement fragilisée par les doutes des marchés financiers. L’avenir du réal, et plus largement de l’économie brésilienne, dépendra de la capacité du gouvernement à restaurer la confiance tout en préservant les équilibres sociaux. Un exercice d’équilibriste périlleux dont Lula, en fin stratège, devra se montrer à la hauteur s’il veut redresser son pays fragilisé et endiguer la spirale spéculative.