Depuis des décennies, le Rassemblement national (RN) prône la “préférence nationale”, un concept au cœur de son programme politique. Mais jamais encore les modalités d’application de cette mesure n’avaient été exposées aussi clairement qu’en cette rentrée 2024. Le parti d’extrême-droite entend bien obliger les employeurs à insérer un critère de nationalité dans leurs processus de recrutement, afin de favoriser systématiquement l’embauche de Français à compétences égales.
Un “droit opposable” en faveur des Français
Fini le temps de la simple dissuasion via l’augmentation du coût du travail pour les extracommunautaires. Désormais, le RN veut passer à la vitesse supérieure en contraignant les entreprises à prioriser les candidats français. Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme et auteur du programme économique du parti, confirme la volonté de rendre cette “priorité nationale” obligatoire :
L’administration ne fera pas d’enquête sur chaque embauche. Mais une personne pourra saisir la justice pour discrimination si elle juge qu’un étranger a été injustement recruté à sa place. L’employeur devra prouver qu’aucun Français ne s’est proposé.
– Jean-Philippe Tanguy, député RN
En cas d’accession au pouvoir, le RN entend donc inverser la logique qui sanctionne actuellement les discriminations à l’embauche, en faisant de la nationalité un critère de sélection à part entière. Tout Français s’estimant lésé lors d’un recrutement bénéficierait ainsi d’une forme de “droit opposable” pour attaquer l’employeur en justice.
De nombreux obstacles légaux à balayer
Comme le souligne Alexandre Fabre, professeur de droit à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, de multiples textes et conventions interdisent aujourd’hui toute discrimination basée sur la nationalité dans le domaine professionnel :
- La Constitution française de 1958
- Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
- La convention de l’Organisation internationale du travail
Pour contourner ces obstacles, le RN compte exclure les ressortissants européens de sa mesure discriminatoire et réviser la Constitution afin d’y inscrire noir sur blanc sa fameuse “priorité nationale” en matière d’emploi, mais aussi de logement et de prestations sociales.
La liberté d’entreprendre menacée ?
Au-delà des aspects purement légaux, c’est la liberté même des entreprises de choisir leurs collaborateurs qui pourrait se voir remise en cause par le projet du RN. En effet, cette liberté fondamentale est elle aussi protégée par la Constitution. Il n’est donc pas certain que les employeurs acceptent de se voir dicter leurs choix de recrutement sur la base d’un critère de nationalité.
Si la “préférence nationale” à la sauce RN venait à s’appliquer, elle limiterait drastiquement la marge de manœuvre des entreprises et porterait un coup sévère au principe de non-discrimination. Une perspective inquiétante pour le monde économique, qui redoute de se voir imposer des contraintes difficilement compatibles avec les réalités du terrain et les besoins en compétences.
Face à un tel projet, nul doute que de nombreuses voix s’élèveront pour dénoncer une atteinte inédite aux libertés fondamentales et un dangereux pas en arrière pour notre pays. Reste à savoir si le Rassemblement national parviendra à convaincre les Français du bien-fondé de sa mesure phare, au risque de se heurter à une vive opposition politique et sociétale.