Le 21 mai 1975, une atmosphère lourde enveloppe Stuttgart. Dans une salle d’audience ultra-sécurisée, quatre silhouettes entrent sous les regards tendus des spectateurs. Ce ne sont pas des criminels ordinaires, mais les figures de proue d’un mouvement qui a ébranlé l’Allemagne : la Fraction armée rouge, surnommée la bande à Baader. Ce jour-là s’ouvre un procès qui, au-delà des accusations de meurtres et d’attentats, cristallise les tensions d’une époque marquée par la révolte et la peur. Comment un groupe d’idéalistes a-t-il pu plonger un pays entier dans l’angoisse des années de plomb ?
Un Procès sous Haute Tension
Le tribunal de Stuttgart, une forteresse moderne en béton, est conçu pour un seul objectif : juger les membres de la Fraction armée rouge (RAF). Andreas Baader, Ulrike Meinhof, Gudrun Ensslin et Jan Carl Raspe, arrêtés en 1972, font face à des accusations graves : cinq meurtres, des dizaines de tentatives d’assassinat et une série d’attentats à la bombe. Le dispositif de sécurité est colossal. Un souterrain relie la prison au tribunal, des barbelés entourent l’édifice, et un filet anti-bombes protège le toit. Pourquoi tant de précautions ? Parce que la RAF, même derrière les barreaux, inspire la crainte.
Ce procès n’est pas seulement judiciaire, il est symbolique. Il incarne le choc entre une jeunesse contestataire, issue des révoltes de 1968, et une société allemande encore marquée par son passé nazi et la guerre froide. La RAF, avec son idéologie anti-impérialiste, rejette violemment le capitalisme et l’influence américaine. Mais leur combat, initialement idéologique, a basculé dans une violence implacable.
La Naissance d’un Mouvement Radical
La Fraction armée rouge voit le jour en 1970, après l’évasion spectaculaire d’Andreas Baader, orchestrée par Ulrike Meinhof, une journaliste renommée. Leur manifeste prône la guérilla urbaine, un concept inspiré des mouvements révolutionnaires d’Amérique latine comme les Tupamaros. Leur objectif ? Détruire les institutions capitalistes par la violence. Ce qui commence par des actions militantes dérape rapidement vers des actes terroristes : braquages, attentats à la bombe et assassinats.Le groupe se radicalise après un séjour dans des camps d’entraînement palestiniens en Syrie et en Jordanie. Leur idéologie, un mélange de marxisme et d’anti-impérialisme, vise à déstabiliser l’impérialisme américain et le capitalisme occidental. Mais cette radicalisation les isole progressivement de la gauche traditionnelle, qui rejette leur violence.
Qui Étaient les Membres de la Bande à Baader ?
Les accusés du procès de Stuttgart ne sont pas des marginaux anonymes. Ils incarnent une génération en rupture avec la société allemande de l’après-guerre. Voici un aperçu de ces figures emblématiques :
- Andreas Baader : Né en 1943 à Munich, fils d’un historien, Baader est un charismatique rebelle. Les révoltes étudiantes de 1968 réveillent en lui une ferveur révolutionnaire. Surnommé le « Bonnie and Clyde » allemand avec Ulrike Meinhof, il devient le visage de la RAF.
- Ulrike Meinhof : Ancienne journaliste vedette, elle abandonne sa vie de famille pour rejoindre la lutte armée. Considérée comme le cerveau du groupe, elle théorise la guérilla urbaine et rédige des textes incendiaires contre le capitalisme.
- Gudrun Ensslin : Fille de pasteur, elle rejette son éducation religieuse pour embrasser l’anarchisme. Son parcours chaotique, marqué par des relations tumultueuses, reflète sa quête d’absolu.
- Jan Carl Raspe : Sociologue brillant, cet intellectuel autrichien apporte une rigueur théorique au mouvement. Arrêté avec Baader en 1972, il reste un pilier idéologique de la RAF.
Ces quatre individus, aux parcours variés mais unis par une même rage contre le système, forment le noyau dur de la RAF. Leur procès, loin d’être une simple formalité, devient un théâtre d’idées où s’affrontent deux visions du monde.
Un Procès Hors Normes
Le tribunal de Stuttgart, construit pour l’occasion au coût de 12 millions de marks, est une forteresse. Les accusés, installés dans une cage de verre à l’épreuve des balles, font face à un dispositif de sécurité inédit : 500 policiers, des bergers allemands, des barbelés et même un filet anti-bombes. La salle d’audience, d’une superficie de 610 m², accueille 206 spectateurs, dont 81 journalistes, tous minutieusement contrôlés.
« C’est un procès extraordinaire qui commence aujourd’hui à Stuttgart. »
Le président du tribunal, Theodor Prinzing, un juge expérimenté connu pour son sang-froid, dirige les débats. Les charges sont lourdes : cinq meurtres, 54 tentatives de meurtre et des attentats à la bombe entre 1970 et 1972. Pourtant, les preuves directes manquent. Un fragment de bouteille de gaz et des machines à écrire retrouvées dans les planques de la RAF constituent les principaux indices. Cette absence de preuves formelles alimente les tensions : les accusés sont-ils des criminels ou des martyrs d’une cause incomprise ?
Les Réactions de l’Opinion Publique
Le procès divise l’opinion. Pour beaucoup d’Allemands, la RAF incarne une menace contre la démocratie. Les autorités, sous pression, renforcent les mesures antiterroristes : création d’une brigade spécialisée, surveillance accrue des avocats des accusés, extension des compétences des services de sécurité. Pourtant, certains intellectuels de gauche, comme Jean-Paul Sartre, dénoncent les conditions de détention des accusés, qualifiées de « torture par isolement ».
Sartre rend visite à Baader en prison, espérant attirer l’attention sur leur sort. Mais cette initiative est critiquée, notamment par l’écrivain Günther Grass, qui accuse Sartre de renforcer la droite allemande. Les révélations sur les conditions de détention – cellules équipées de radios, livres et machines à écrire – affaiblissent la campagne de soutien. La population, marquée par les violences de la RAF, reste majoritairement hostile aux accusés.
Les Grèves de la Faim et les Suicides
En prison, les accusés mènent des grèves de la faim pour protester contre leurs conditions de détention. Ulrike Meinhof, fragilisée, se suicide le 9 mai 1976. Le procès se poursuit, et le 28 avril 1977, les trois autres accusés sont condamnés à la prison à vie. Six mois plus tard, un détournement d’avion par un commando palestinien exigeant leur libération échoue. Baader, Ensslin et Raspe se suicident dans leurs cellules. Le lendemain, Hanns Martin Schleyer, un patron enlevé par la RAF, est exécuté.
Ces événements dramatiques marquent un tournant. La RAF, bien que décapitée, continue ses actions jusqu’à sa dissolution en 1998. Mais le procès de 1975 reste un symbole des tensions de l’époque, entre idéalisme révolutionnaire et répression étatique.
Les Années de Plomb : un Contexte Explosif
Les années 1970, surnommées les années de plomb, sont marquées par une vague de terrorisme en Europe. En Allemagne, la RAF incarne cette violence politique, influencée par les mouvements étudiants de 1968 et les luttes anti-impérialistes mondiales. Leur combat, bien que fondé sur une critique du capitalisme, s’aliène rapidement le soutien populaire en raison de ses méthodes extrêmes.
Le procès de Stuttgart reflète ce climat de peur et de division. Les autorités allemandes, déterminées à protéger la démocratie, adoptent des mesures draconiennes. Mais ces mesures, comme la surveillance des avocats, soulèvent des questions sur les libertés individuelles. La RAF, en défiant l’État, a-t-elle paradoxalement renforcé son autoritarisme ?
L’Héritage de la Bande à Baader
Cinquante ans plus tard, le procès de la bande à Baader reste une page sombre de l’histoire allemande. La RAF a-t-elle été un mouvement révolutionnaire ou un groupe terroriste ? La question divise encore. Leur idéologie, bien que marginale, a marqué les esprits, tout comme leur violence a choqué.
Le tableau suivant résume les principaux événements liés à la RAF :
Date | Événement |
---|---|
Mai 1970 | Création de la Fraction armée rouge après l’évasion de Baader. |
1970-1972 | Série d’attentats à la bombe et de braquages. |
Juin 1972 | Arrestation de Baader, Meinhof, Ensslin et Raspe. |
21 mai 1975 | Ouverture du procès à Stuttgart. |
9 mai 1976 | Suicide d’Ulrike Meinhof. |
28 avril 1977 | Condamnation à perpétuité des trois accusés restants. |
Octobre 1977 | Suicides de Baader, Ensslin et Raspe ; exécution de Schleyer. |
1998 | Dissolution officielle de la RAF. |
Ce tableau illustre la rapidité avec laquelle la RAF, de mouvement militant, est devenue une organisation terroriste, puis s’est éteinte après des décennies de violence. Leur héritage, complexe, continue de susciter des débats sur la légitimité de la lutte armée.
Une Leçon pour l’Avenir ?
Le procès de la bande à Baader ne fut pas seulement un événement judiciaire, mais un miroir des tensions des années 1970. La RAF, en défiant l’État, a poussé l’Allemagne à renforcer ses institutions sécuritaires, au risque de compromettre certaines libertés. Ce dilemme reste d’actualité : comment répondre à la violence politique sans sacrifier les principes démocratiques ?
En revisitant cette période, on mesure l’impact d’un groupe qui, bien que marginal, a marqué l’histoire. La Fraction armée rouge, avec ses idéaux et ses excès, nous rappelle que la radicalisation peut naître d’une quête d’idéal, mais que la violence, loin de résoudre les injustices, les amplifie souvent.
Le procès de 1975, avec ses images de cage de verre et de barbelés, reste gravé dans les mémoires comme un symbole des luttes fratricides d’une époque tourmentée. Et si la RAF a disparu, les questions qu’elle a soulevées sur la justice, la liberté et la révolte continuent de résonner.