Lors d’un discours prononcé ce vendredi à Homa Bay dans l’ouest du Kenya, le président William Ruto a pris un engagement fort : mettre fin aux enlèvements et détentions arbitraires de manifestants et de voix critiques du pouvoir par les forces de sécurité. Une promesse très attendue dans le pays, alors que les exactions de ce type se sont multipliées ces derniers mois, suscitant l’indignation des défenseurs des droits humains.
Des dizaines d’arrestations illégales depuis l’été
Selon plusieurs ONG et avocats, les forces de l’ordre kenyanes auraient procédé à l’arrestation et à la détention illégale de plusieurs dizaines de manifestants depuis les grands rassemblements de protestation contre la politique d’austérité du gouvernement organisés l’été dernier. Rien que pour le mois de décembre, la Commission nationale des droits de l’homme du Kenya (KNCHR) a recensé la disparition de 6 personnes, portant à 29 le nombre total d’individus introuvables depuis juin.
Les derniers cas médiatisés concernent principalement de jeunes hommes ayant exprimé des critiques envers le président Ruto sur les réseaux sociaux. Des enlèvements que la police continue de nier malgré les accusations répétées des organisations de défense des droits de l’homme, qui exigent la fin immédiate de ces pratiques.
L’ancien vice-président dénonce le ciblage de la jeunesse
William Ruto a réagi au lendemain d’une déclaration choc de son ancien vice-président Rigathi Gachagua, évincé en octobre suite à de profonds désaccords sur la gestion des manifestations. Ce dernier a en effet accusé l’administration actuelle de « cibler » délibérément les jeunes à travers ces disparitions forcées.
Enlever ces enfants et les tuer n’est pas une solution… C’est la première administration dans l’histoire de ce pays à cibler les enfants.
Rigathi Gachagua, ancien vice-président du Kenya
Gachagua affirme également qu’une unité secrète serait à l’origine de ces enlèvements. Des révélations embarrassantes pour le président Ruto, contraint de réagir publiquement.
Ruto promet d’agir, non sans ambiguïté
Face à la pression, William Ruto a donc fini par s’exprimer sur le sujet. « Nous allons mettre fin aux enlèvements pour que nos jeunes puissent vivre en paix », a-t-il déclaré devant la foule rassemblée à Homa Bay. Un engagement en apparence clair, mais qui s’accompagne toutefois d’un message pour le moins ambigu à l’attention des parents, appelés à « assumer la responsabilité » de leurs enfants.
Un positionnement en demi-teinte qui fait écho à un précédent discours du chef de l’État en novembre dernier. S’il condamnait alors « toute action excessive ou extrajudiciaire », il jugeait dans le même temps que de nombreuses arrestations étaient légitimes car visant des « criminels et éléments subversifs ». De quoi semer le doute sur la réelle volonté du gouvernement de mettre fin à ces pratiques.
La société civile exige des actes
Au-delà des mots, les défenseurs des droits humains attendent désormais des actes concrets de la part des autorités. Ils pointent notamment du doigt l’inaction apparente de la police, qui ne semble pas enquêter sérieusement sur ces disparitions. La Law Society of Kenya, principale association d’avocats du pays, somme ainsi les forces de l’ordre de mener des investigations et de poursuivre les responsables si elles ne sont pas elles-mêmes complices.
De son côté, l’ONG Human Rights Watch affirme que ses enquêtes sur le sujet mettent en cause une unité composée de membres de plusieurs agences de sécurité. Elle appelle le gouvernement à faire toute la lumière sur le rôle et les agissements de ce groupe.
Un lourd bilan humain
Outre les disparitions, le mouvement de contestation contre la politique du président Ruto lancé en juin dernier a été sévèrement réprimé. Selon des ONG, plus de 60 personnes auraient été tuées par les forces de sécurité lors des manifestations de juin et juillet. Un bilan très lourd qui souligne l’ampleur des dérives sécuritaires dans le pays.
La promesse de William Ruto de mettre un terme aux enlèvements suffira-t-elle à apaiser la colère qui ne cesse de monter au Kenya ? Rien n’est moins sûr au vu de la défiance d’une large partie de la population envers un pouvoir perçu comme brutal et répressif. Seules des mesures rapides et des progrès tangibles en matière de respect des droits humains pourront commencer à restaurer la confiance. Le président Ruto semble en avoir pris conscience, reste à savoir s’il se donnera réellement les moyens de tenir parole.