Le Sri Lanka s’apprête à tourner une nouvelle page de son histoire politique et économique. Après avoir remporté une large victoire aux élections législatives anticipées avec sa coalition de gauche, le nouveau président Anura Kumara Dissanayake a dévoilé lundi la composition de son gouvernement. Sans surprise, cet ancien marxiste converti à l’économie de marché s’octroie les portefeuilles cruciaux de la Défense et des Finances. Il entend ainsi avoir les coudées franches pour mener à bien son ambitieux programme de réformes destiné à redresser un pays exsangue.
Un pays en quête d’un nouveau souffle
Arrivé au pouvoir il y a deux mois, Anura Kumara Dissanayake, 55 ans, hérite d’un pays épuisé par la pire crise économique de son histoire. Le Sri Lanka sort tout juste d’une sévère cure d’austérité menée sous l’égide du Fonds Monétaire International. En échange d’une aide de 2,9 milliards de dollars, le précédent gouvernement avait dû se résoudre à des mesures impopulaires comme la hausse des taxes et la baisse des subventions.
Mais ce traitement de choc a laissé des traces. De nombreux Sri Lankais peinent encore à joindre les deux bouts. Beaucoup ont manifesté leur mécontentement dans les urnes en plébiscitant le programme de changement porté par la coalition de gauche d’Anura Kumara Dissanayake. Celui-ci s’est notamment engagé à réduire les taxes sur les produits de première nécessité et à éradiquer la corruption qui gangrène le pays.
Une majorité absolue au Parlement
Fort de son score sans appel aux législatives (deux tiers des 225 sièges), le nouveau président sait qu’il a les mains libres pour agir. Mais la tâche s’annonce ardue et semée d’embûches. Le Sri Lanka croule toujours sous une dette abyssale, ses réserves en devises restent au plus bas et la reprise économique est encore balbutiante.
Conscient des défis à relever, Anura Kumara Dissanayake a choisi un gouvernement resserré de 22 ministres, mené par une Première ministre auparavant chargée de l’intérim, Harini Amarasuriya. Sa ministre des Affaires étrangères intérimaire, Vijitha Herath, a été confirmée dans ses fonctions. Le président entend aussi renégocier certains volets du plan d’aide du FMI, jugé trop dur par de nombreux Sri Lankais.
Nous devons faire en sorte que cette majorité absolue ne nous corrompe pas. Le pouvoir qui nous a été donné doit être exercé avec responsabilité pour satisfaire les aspirations du peuple, opprimé économiquement et politiquement depuis trop longtemps.
Anura Kumara Dissanayake, lors de la présentation de son gouvernement
Un marathonien converti à l’économie de marché
Pour mesurer l’ampleur de la tâche, il faut se rappeler d’où vient Anura Kumara Dissanayake. Ce marathonien au long cours affiche un parcours pour le moins singulier. Issu d’une famille modeste, il milite très jeune au sein du Janatha Vimukthi Peramuna (JVP), un parti marxiste révolutionnaire. Il passe plusieurs années dans la clandestinité pour échapper à la répression.
Mais après des études d’agriculture, il comprend que le dogmatisme n’est pas la solution. Il réoriente progressivement son parti vers le réformisme et l’économie de marché, sans pour autant renier ses idéaux de justice sociale. C’est cette synthèse entre pragmatisme économique et fibre sociale qui lui permet de séduire un électorat déçu par des années d’immobilisme et de mauvaise gouvernance.
Un programme de réformes ambitieux
Outre la baisse des taxes sur les produits essentiels et la lutte contre la corruption, le nouveau président a promis de grandes réformes pour redynamiser l’économie sri lankaise :
- Développer les énergies renouvelables pour réduire la dépendance aux importations de pétrole
- Soutenir l’agriculture et la pêche pour assurer la sécurité alimentaire du pays
- Moderniser les infrastructures de transport pour faciliter le commerce
- Miser sur l’économie numérique et les industries innovantes pour créer des emplois
- Améliorer l’accès à l’éducation et à la santé, surtout pour les plus vulnérables
Selon des sources proches de la présidence, le gouvernement finalisera son projet de budget 2025 dans les prochaines semaines. Ce texte crucial, qui sera présenté au Parlement dès ce jeudi, devrait donner une première indication sur les marges de manœuvre financières et les priorités du nouvel exécutif.
Beaucoup de Sri Lankais espèrent un assouplissement des conditions d’octroi de l’aide du FMI, jugée trop coercitive. Mais les économistes avertissent qu’un rééquilibrage trop brutal des finances publiques pourrait casser la timide reprise en cours. Le président Dissanayake va donc devoir jouer serré s’il veut réussir son pari d’un redressement à visage humain.