C’est un hasard du calendrier qui ravive aujourd’hui la pensée lumineuse d’Albert Camus sur un sujet brûlant : la peine de mort. Alors que l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, admirateur de longue date de Camus, est poursuivi dans son pays pour « atteinte à la sûreté de l’État », un crime passible de la peine capitale, les éditions Gallimard publient des lettres inédites de l’auteur de L’Étranger plaidant pour la vie de condamnés algériens pendant la guerre d’indépendance.
Ces lettres, rassemblées dans le recueil posthume Actuelles IV, jettent une lumière crue sur l’engagement viscéral de Camus contre la peine de mort. Lui qui, dès ses premiers écrits, avait fait de la vie la valeur suprême, n’a eu de cesse de s’élever contre ce châtiment qu’il jugeait inhumain, y compris lorsqu’il s’agissait de militants indépendantistes pourtant opposés à ses idées. Pour Camus, aucune cause, aussi noble soit-elle, ne pouvait justifier qu’on ôte la vie.
« Certainement cruel » : le début d’une vie de combat
Né en Algérie en 1913, Albert Camus a très tôt été sensibilisé à la question de la peine de mort. Dans une colonie où la justice était souvent expéditive, les exécutions n’étaient pas rares. Le jeune Camus, révolté par cette violence d’État, y verra l’une des marques de l’absurdité du monde. Cette prise de conscience précoce nourrira toute son œuvre, de L’Étranger, qui s’ouvre sur une condamnation à mort absurde, à ses nombreux essais et articles contre la peine capitale.
Je suis, par conviction raisonnée, opposé à la peine de mort en général.
Albert Camus dans une lettre de décembre 1957
Mais c’est pendant la guerre d’Algérie que l’engagement de Camus atteint son paroxysme. Face à la multiplication des condamnations de militants indépendantistes, il multiplie les prises de position publiques et les interventions en coulisses pour tenter d’infléchir le cours de la justice. Dans une lettre d’octobre 1957 adressée au président du Conseil Guy Mollet, il appelle à « des mesures de générosité » pour endiguer la spirale des exécutions.
L’appel à de Gaulle : « Certainement cruel »
Quelques mois plus tard, en janvier 1959, il s’adresse directement au général de Gaulle, revenu au pouvoir, pour plaider la cause de trois condamnés à mort algériens. Invoquant « les circonstances qui, à mon sens, rendraient peut-être impolitique et certainement cruel un châtiment définitif », Camus en appelle à la grandeur d’âme du président. Un vain espoir : la grâce lui sera refusée.
Ces lettres émouvantes témoignent de l’obstination de Camus à défendre la vie jusqu’au bout, quitte à se heurter aux raisons d’État. Elles révèlent aussi les tourments d’un homme écartelé entre son amour de l’Algérie, son rejet de la violence terroriste et son humanisme intransigeant. Une position inconfortable qui lui vaudra l’hostilité des deux camps.
L’héritage humaniste de Camus
Plus de 60 ans après sa mort tragique, la pensée de Camus sur la peine de mort n’a rien perdu de sa force ni de son actualité. Dans un monde où ce châtiment reste en vigueur dans de nombreux pays, son message humaniste résonne comme un appel à la conscience universelle. Et l’affaire Boualem Sansal, qui risque aujourd’hui la peine de mort en Algérie, prouve hélas que le combat de Camus est loin d’être gagné.
En publiant ces lettres inédites, les éditions Gallimard ne ravive pas seulement le souvenir d’un immense écrivain. Elles rappellent la nécessité de poursuivre son combat pour l’abolition universelle de la peine de mort, dernier hommage à rendre à celui qui proclamait que « la seule façon d’affronter un monde sans liberté est de devenir si absolument libre qu’on fasse de sa propre existence un acte de révolte ». Une révolte au nom de la vie dont Camus restera à jamais le héros.