Au cœur des ruines fumantes de Vovtchansk, une petite ville du nord-est de l’Ukraine située à seulement 5 km de la frontière russe, une poignée de fidèles se serrent autour de leur prêtre, le père Igor Klymenko. Ils sont les derniers rescapés de l’offensive russe qui a rasé leur cité, surtout depuis le déluge de feu déclenché le 10 mai.
Femmes en fichu, hommes chenus tête basse, tous au moins sexagénaires. Ils ne sont plus que neuf en cette douce matinée d’automne, réunis exceptionnellement dans la vaste église néobyzantine de la Dormition de Kharkiv, loin de leur petite paroisse des Myrophores de Vovtchansk, briques orangées et toiture verte, désormais en ruines.
Une ville fantôme, une foi intacte
Avant la guerre, Vovtchansk comptait 20 000 habitants. Aujourd’hui, c’est une ville fantôme, un champ de ruines. « Très peu de gens sont restés. Les plus forts, vraiment les plus forts », confie le père Igor, longue barbe grise mordant sur sa robe noire. Nommé en octobre 2022, juste après la reprise de la ville par les forces ukrainiennes, il a vu tomber plusieurs de ses ouailles.
Pourtant, malgré les bombardements incessants, la petite communauté n’a jamais perdu la foi. Oleksandr, 70 ans, est même brièvement retourné dans son logement en ruines mi-septembre. Pourquoi avoir ainsi risqué sa vie ? « Pour mon livre de chants religieux, que j’utilise depuis 24 ans à l’église. Nous avons besoin de davantage de bonté, de compassion entre nous », explique-t-il dans un sourire tranquille.
« Priez pour nous, ici c’est l’enfer ! »
Le père Igor a officié pour la dernière fois à Vovtchansk le 5 mai. Il comptait y retourner le dimanche suivant, mais dans la nuit du 9 au 10, l’enfer s’est déchaîné. « Raïssa, une de mes paroissiennes, m’a envoyé ce message en pleine nuit : + Père, priez pour nous car ici c’est l’enfer !+. Au téléphone, j’entendais les obus éclater, encore et encore », se souvient-il avec émotion.
Depuis, il a dû célébrer les funérailles « in absentia » de plusieurs fidèles, un rite pour offrir symboliquement une sépulture aux âmes de ceux dont les corps sont restés là-bas, dans les ruines de Vovtchansk. Un déchirement pour ce prêtre humble et dévoué, qui a tout perdu lui aussi.
Une solidarité à toute épreuve
Exploitant agricole, le père Igor avait une grande ferme avant de tout abandonner pour fuir les bombardements. « Je n’ai pu prendre dans l’église que les documents et les objets sacrés », soupire-t-il. Mais il lui reste l’essentiel : sa foi inébranlable et le soutien de ses derniers fidèles.
Car malgré les épreuves, les deuils, la perte de leurs maisons et de tous leurs biens, les paroissiens de Vovtchansk sont restés solidaires. Paysans, petits employés, tous ont fui en n’emportant presque rien, mais il émane de ce petit groupe une entraide et une ferveur impressionnantes.
D’abord, les murs de notre église étaient épais. Ensuite, peut-être a-t-elle été d’une certaine manière épargnée, ils (les artilleurs russes) n’ont pas beaucoup tiré dessus.
– Le père Igor, tentant d’expliquer pourquoi l’église tenait encore debout fin mai
Mais fin septembre, il ne restait plus de l’édifice centenaire que des pans de murs noircis, comme un symbole cruel du destin de Vovtchansk. Le père Igor refuse pourtant de perdre espoir. Pour lui, pour ses derniers fidèles, il continue de prêcher l’amour et le pardon malgré la douleur et les ruines.
Car au cœur des décombres de Vovtchansk, la foi, elle, n’a pas été réduite en cendres. Elle brûle encore, ardente et indestructible, dans le cœur du père Igor et de ces femmes et ces hommes qui ont tout perdu, sauf l’essentiel : leur humanité. Un témoignage bouleversant qui force le respect et appelle à la prière.