C’était une nuit magique, en ce 24 octobre 1978. Sous les lumières scintillantes de la boule à facettes, les invités paradaient dans leurs somptueux costumes vénitiens du XVIIIe siècle. Au milieu de cette élégante foule bigarrée se frayaient un chemin artistes, jet-setteurs et célébrités en tout genre. Le maître de cérémonie n’était autre que le grand couturier Karl Lagerfeld, qui avait métamorphosé le célèbre Palace en un bal masqué grandiose. Cette soirée disco extravagante allait marquer un tournant, faisant entrer cette jeune discothèque parisienne dans la légende.
Le Palace, un nouveau temple des nuits parisiennes
Ouvert quelques mois plus tôt par Fabrice Emaer, le Palace s’était rapidement imposé comme le rendez-vous incontournable du tout-Paris. Inspiré du mythique Studio 54 new-yorkais, ce club attirait une faune éclectique, mêlant personnalités en vue, artistes underground et fêtards en quête de sensations fortes. Le lieu lui-même, avec son décor théâtral et son ambiance électrique, se prêtait à toutes les audaces.
C’est dans ce contexte bouillonnant que Karl Lagerfeld, alors directeur artistique de Chloé, eut l’idée d’organiser une fête hors norme. Grand amateur d’histoire et féru du XVIIIe siècle, il opta pour le thème du bal vénitien, conviant ses invités à se parer des atours chatoyants de cette époque fastueuse. Robes à paniers, perruques poudrées, masques et loups envahirent ainsi la piste de danse, pour une nuit placée sous le signe de la démesure.
Un parterre de stars éblouissant
Difficile d’imaginer plateau plus prestigieux que celui réuni par Karl Lagerfeld en cette soirée d’octobre. Au détour d’un pas de danse, on pouvait ainsi croiser:
- La charismatique Paloma Picasso, époustouflante dans une robe lamée or
- Le prodige de la danse Rudolf Noureev, magistral en habit brodé
- Andy Warhol, pape du Pop Art, cachant son légendaire ennui derrière un loup de velours
- Kenzo Takada et Yves Saint Laurent, génies de la mode, paradant au bras de leurs muses
- Les it-girls de l’époque, telles Bianca Jagger et Jerry Hall, rivalisant d’élégance décadente
Bref, un condensé de talents, de beautés et d’excentricités, réuni sous l’égide du maître des lieux. Car Karl Lagerfeld n’avait pas lésiné sur les moyens pour offrir à ses convives un spectacle total. Des décors somptueux aux performances live en passant par la sélection musicale pointue, tous les détails avaient été soignés pour transporter les invités dans un autre espace-temps.
L’événement fondateur d’un mythe
Ce bal vénitien de 1978 aura été bien plus qu’une nuit de fête mémorable. Il a en effet permis d’asseoir la réputation du Palace et d’en faire un haut lieu de la nuit parisienne, attirant pendant près d’une décennie vedettes internationales et personnalités en vue.
« C’est l’une des premières fêtes de la mode et c’est Karl Lagerfeld qui a tout financé. Le mythe du Palace est né ce soir-là. Les jours suivants, on parlera de ce 24 octobre 1978 et de ce haut lieu de la nuit parisienne dans le monde entier. »
Marie Ottavi, auteur de la biographie « Karl, une histoire de la mode »
Au-delà du microcosme de la mode, c’est toute une époque qui s’est cristallisée lors de cette soirée. Entre insouciance et créativité débridée, la fin des années 70 restera comme un âge d’or des nuits parisiennes, dont le Palace fut sans conteste l’épicentre. Et si ce temple des seventies a fini par fermer ses portes en 1983, son aura ne s’est jamais vraiment éteinte.
L’héritage éternel d’une nuit mythique
Près d’un demi-siècle plus tard, le souvenir de ce bal fastueux continue de faire rêver et d’inspirer. Régulièrement cité dans les rétrospectives sur l’histoire de la mode et des nuits parisiennes, il est devenu le symbole d’une certaine idée du chic et de la fête.
Quant à Karl Lagerfeld, cette soirée restera comme l’une des plus flamboyantes manifestations de son goût pour la démesure et le spectacle. Couturier visionnaire, il a su capturer l’air du temps et offrir à ses contemporains un moment suspendu, célébrant l’art de vivre à la française dans ce qu’il a de plus vibrant.
En organisant ce bal au Palace, Karl Lagerfeld ne s’est pas contenté de marquer l’histoire de la mode. Il a surtout contribué à façonner l’imaginaire collectif et à forger la légende d’une époque, avec ce mélange d’impertinence, de glamour et de créativité qui ont fait les grandes heures de la nuit parisienne. Le temps d’une soirée, le Palace s’est transformé en une Venise fantasmée, où la seule règle était celle du plaisir et de l’extravagance. Un rêve éveillé dont l’écho résonne encore aujourd’hui.
