Alors que l’Europe s’engage dans une course effrénée vers la décarbonation, une question divise les esprits : le nucléaire peut-il s’imposer comme une solution incontournable ? À Bruxelles, les discussions sur l’avenir énergétique de l’Union européenne prennent une tournure inattendue. Longtemps relégué au second plan face aux énergies renouvelables, l’atome gagne du terrain, porté par une coalition grandissante de pays. Mais ce virage suscite des débats passionnés, entre ambitions écologiques, rivalités politiques et défis financiers. Plongeons dans les coulisses de ce bras de fer énergétique qui redessine les priorités de l’UE.
Un tournant pour le nucléaire en Europe
Depuis des décennies, l’énergie nucléaire divise l’Union européenne. D’un côté, des nations comme la France, fervente défenseuse de l’atome, vantent ses mérites pour une énergie stable et décarbonée. De l’autre, des pays comme l’Allemagne, marquée par la catastrophe de Fukushima, privilégient une sortie accélérée du nucléaire au profit des renouvelables. Pourtant, ces derniers mois, un changement s’opère à Bruxelles. La Commission européenne semble prête à lever un tabou historique : le financement public de projets nucléaires.
En juillet, une proposition de budget pour la période 2028-2034 a marqué un tournant. Sans entrer dans les détails, ce document ouvre la possibilité de financements européens pour des initiatives liées à la fission nucléaire, la recherche, le démantèlement des installations ou encore la gestion des déchets radioactifs. Une avancée qui, pour beaucoup, signe une reconnaissance implicite du rôle du nucléaire dans la transition énergétique.
« L’élargissement de l’Alliance rend le sujet un peu incontournable », explique un expert en transition climatique.
L’Alliance du nucléaire : une coalition en expansion
Ce regain d’intérêt pour le nucléaire ne sort pas de nulle part. Depuis 2023, la France a fédéré autour d’elle une coalition informelle, surnommée l’Alliance européenne du nucléaire. Ce groupe, qui réunit aujourd’hui des pays comme la Bulgarie, la Croatie, la Finlande, la Hongrie, les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède, s’élargit rapidement. Récemment, la Belgique et l’Italie ont rejoint les rangs, et des rumeurs suggèrent que la Grèce pourrait bientôt suivre.
Cette dynamique reflète une volonté de rendre le nucléaire politiquement neutre. Longtemps perçu comme une source de fracture entre les États membres, l’atome gagne en légitimité. Les pays de l’Alliance insistent sur sa complémentarité avec les énergies renouvelables pour répondre aux besoins croissants en électricité décarbonée. Mais cette montée en puissance ne va pas sans tensions.
Les membres de l’Alliance nucléaire :
- France
- Belgique (depuis février 2025)
- Italie (depuis juin 2025)
- Bulgarie, Croatie, Finlande, Hongrie, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Suède
Les Amis des renouvelables : une opposition affaiblie ?
Face à l’Alliance du nucléaire, un autre groupe informel, les Amis des renouvelables, défend une vision différente. Menée par l’Allemagne et l’Autriche, cette coalition inclut l’Espagne, le Portugal, l’Irlande, le Danemark, le Luxembourg et les États baltes. Ces pays prônent une transition énergétique centrée sur l’éolien et le solaire, qui dominent déjà une large part du mix énergétique européen. En 2024, selon les données officielles, les énergies renouvelables représentaient 47,3 % de la production d’électricité dans l’UE, contre 23,4 % pour le nucléaire.
Mais la fracture entre les deux camps semble s’atténuer. De plus en plus de gouvernements reconnaissent que l’électrification rapide du continent nécessite une approche combinée. Les Pays-Bas, par exemple, participent aux discussions des deux groupes, illustrant une volonté de dépasser les clivages idéologiques. Cette évolution pourrait marquer la fin d’une guerre de religion énergétique, comme l’a qualifiée un ministre français.
Neutralité technologique : un concept clé
Au cœur des débats, un terme revient sans cesse : la neutralité technologique. Cette idée, portée notamment par la France, prône un traitement équitable de toutes les énergies bas carbone, qu’il s’agisse du nucléaire, de l’éolien, du solaire ou de l’hydrogène. En mai 2025, une tribune conjointe signée par le président français et le chancelier allemand a marqué les esprits. Ce texte, qui vantait une approche non discriminatoire, a été perçu comme un signal d’ouverture de l’Allemagne, historiquement réticente au nucléaire.
« Les Allemands sont prêts à sortir de la guerre de religion sur le nucléaire », a déclaré un ministre français en mai 2025.
Cette convergence apparente cache pourtant des divergences. Au sein de la coalition allemande, les avis restent partagés, et l’idée de financements européens pour le nucléaire pourrait devenir un point de friction. L’Allemagne, contributrice majeure au budget de l’UE, acceptera-t-elle de soutenir des projets qu’elle a longtemps rejetés ?
Les défis du financement européen
La proposition de budget 2028-2034 de la Commission européenne constitue un jalon crucial. En évoquant des financements pour des activités liées à la fission nucléaire, elle ouvre une brèche dans un domaine jusqu’ici tabou. Mais la prudence reste de mise. La Commission insiste sur le fait que ces propositions doivent encore être négociées avec les États membres, et aucune précision n’a été donnée sur la construction de nouveaux réacteurs.
Les domaines potentiellement éligibles incluent :
- Recherche et innovation dans la fission nucléaire
- Démantèlement des installations nucléaires
- Gestion des déchets radioactifs
Ces priorités reflètent une approche pragmatique, mais elles soulèvent des questions. Les fonds européens pourraient-ils un jour financer la construction de nouvelles centrales ? Pour l’instant, la Commission reste évasive, consciente de la sensibilité du sujet. Les négociations à venir s’annoncent houleuses, notamment avec des pays comme l’Autriche, farouchement anti-nucléaire.
Une législation en mutation
Un autre front s’ouvre dans les mois à venir : la révision de la législation européenne sur les énergies renouvelables. La France pousse pour transformer cette directive en un cadre plus large, englobant les énergies décarbonées. Cette reformulation permettrait d’intégrer le nucléaire aux côtés de l’éolien et du solaire, une victoire symbolique pour Paris. Début juillet, la France a déjà célébré une avancée dans une proposition de la Commission sur les objectifs climatiques de 2040, qui mentionne explicitement la neutralité technologique.
Cette bataille législative illustre l’enjeu central : redéfinir le rôle du nucléaire dans le mix énergétique européen. Pourtant, même dans les scénarios les plus optimistes pour l’atome, les énergies renouvelables resteront dominantes. L’éolien et le solaire, plus rapides à déployer, continueront de porter l’essentiel de l’effort d’électrification à court terme.
Le retard français sur les renouvelables
Si la France se positionne comme un leader du nucléaire, elle n’échappe pas aux critiques sur son retard dans les énergies renouvelables. Bruxelles épingle régulièrement Paris pour ses difficultés à atteindre les objectifs européens en matière d’éolien et de solaire. Ce paradoxe met en lumière une réalité : aucun pays ne peut se permettre de miser sur une seule source d’énergie. La complémentarité entre nucléaire et renouvelables devient ainsi une nécessité stratégique.
Source énergétique | Part dans la production d’électricité (2024) |
---|---|
Énergies renouvelables | 47,3 % |
Nucléaire | 23,4 % |
Vers un avenir énergétique hybride
L’avenir énergétique de l’Europe repose sur un équilibre délicat. Le nucléaire, avec sa capacité à fournir une énergie stable et décarbonée, séduit de plus en plus de pays. Mais les renouvelables, plus flexibles et rapides à déployer, restent indispensables pour atteindre les objectifs climatiques de l’UE. La complémentarité entre ces sources d’énergie devient un argument central, porté par des pays comme les Pays-Bas, qui refusent de choisir un camp.
Pourtant, des défis subsistent. La gestion des déchets radioactifs et le démantèlement des centrales restent des enjeux coûteux et complexes. De plus, les tensions politiques entre les États membres pourraient freiner l’adoption de financements européens pour le nucléaire. L’Allemagne, en particulier, devra clarifier sa position dans les négociations à venir.
Un débat loin d’être clos
Le regain d’intérêt pour le nucléaire marque un tournant dans la politique énergétique européenne. Mais il ne met pas fin aux débats. Entre les ambitions de décarbonation, les rivalités entre États membres et les contraintes budgétaires, l’UE se trouve à un carrefour. La proposition de budget 2028-2034 et les discussions sur la législation des énergies décarbonées seront des moments clés pour dessiner l’avenir énergétique du continent.
Une chose est sûre : l’Europe ne peut plus se permettre de penser en termes de « nucléaire contre renouvelables ». L’urgence climatique impose une approche pragmatique, où chaque source d’énergie joue un rôle. Reste à savoir si les Vingt-Sept parviendront à s’entendre pour concrétiser cette vision.
Les enjeux à venir :
- Négociations sur le budget européen 2028-2034
- Révision de la législation sur les énergies décarbonées
- Harmonisation des priorités énergétiques entre États membres
À Bruxelles, le nucléaire n’est plus un sujet tabou. Mais entre ambitions climatiques et divergences politiques, l’UE devra trouver un équilibre pour bâtir un avenir énergétique durable. Les mois à venir seront décisifs pour savoir si l’atome deviendra un pilier de la transition énergétique ou restera un point de discorde.