En pleine tourmente suite au litige qui l’oppose au groupe français Orano concernant l’exploitation d’un important site d’uranium, le Niger tend la main à la Russie. D’après une source proche du dossier, le ministre nigérien des Mines Ousmane Abarchi a déclaré dans une interview accordée mercredi à l’agence publique russe Ria Novosti que son pays invitait les sociétés russes intéressées par l’exploration et l’exploitation des abondantes ressources naturelles nigériennes à venir sur place.
Cette main tendue intervient dans un contexte tendu entre Niamey et Paris depuis l’arrivée au pouvoir d’une junte militaire à l’issue d’un coup d’État en juillet 2023. “En ce qui concerne les sociétés françaises, l’État français à travers son chef d’État a dit ne pas reconnaître les autorités du Niger”, a rappelé M. Abarchi, soulignant que cette situation n’avait pas évolué depuis plus d’un an.
Un appel à la Russie sur fond de souveraineté nationale
Pour le ministre nigérien, il est inconcevable dans ces conditions que les sociétés françaises puissent continuer à exploiter les ressources naturelles de son pays. Cette déclaration s’inscrit dans la droite ligne de la priorité affichée par le nouveau pouvoir en place : la souveraineté nationale. Depuis son arrivée aux affaires, la junte multiplie en effet les prises de positions hostiles à l’Occident et à la France en particulier.
L’invitation lancée à la Russie intervient également alors que Niamey conteste vivement la décision annoncée fin octobre par Orano, spécialiste français de l’uranium, de suspendre sa production sur le site de la Somaïr. Ce retrait fait suite au retrait par le Niger en juin d’un permis d’exploitation à Imouraren, l’un des plus grands gisements d’uranium au monde, et à l’impossibilité d’exporter ce minerai stratégique, la frontière avec le Bénin étant fermée pour des raisons de sécurité selon les autorités nigériennes.
Vers une révision en profondeur des contrats miniers
Au-delà du cas Orano, le pouvoir nigérien entend revoir de manière globale le système d’exploitation des matières premières sur son sol par des compagnies étrangères. Cette volonté s’accompagne d’une orientation vers de nouveaux partenaires, au premier rang desquels la Russie, mais aussi l’Iran.
Si les autorités de Niamey n’ont pas donné plus de précisions sur les modalités concrètes de cette révision des contrats miniers, l’objectif affiché est clair : reprendre le contrôle des immenses richesses du sous-sol national. Une ambition qui pourrait bien rebattre les cartes du jeu minier et géopolitique dans la région.
L’uranium nigérien, un enjeu stratégique majeur
Avec 7% des réserves mondiales, le Niger fait partie des grands pays producteurs d’uranium. Ce minerai hautement stratégique, indispensable au fonctionnement des centrales nucléaires, est depuis des décennies exploité par des sociétés étrangères, au premier rang desquelles le français Orano (ex-Areva).
L’uranium représente près de 70% des recettes d’exportation du Niger, l’un des pays les plus pauvres de la planète.
Agence Ecofin
Malgré ces immenses réserves, le Niger peine à tirer profit de cette manne en raison de contrats jugés déséquilibrés. Le rapatriement de la valeur ajoutée et le partage des bénéfices sont au cœur des revendications des autorités nigériennes. La suspension par Orano de sa production et le retrait du permis d’Imouraren illustrent les tensions croissantes entre Niamey et ses partenaires historiques.
Au-delà de l’uranium, de multiples opportunités
Si l’uranium cristallise l’attention, le ministre Ousmane Abarchi a tenu à préciser que l’appel aux investisseurs russes concernait l’ensemble des ressources naturelles du pays. Au-delà de l’or jaune, le Niger regorge en effet de multiples richesses :
- Pétrole : le bassin de Termit recèlerait d’importantes réserves
- Charbon : 6ème réserve africaine
- Fer : gisement de Samira évalué à plus d’un milliard de tonnes
- Phosphates : 4ème réserve mondiale
- Calcaires, sel, gypse, …
Autant d’opportunités pour les sociétés russes invitées à venir prospecter et exploiter ce potentiel encore largement sous-valorisé. Selon certains observateurs, Moscou pourrait profiter de cette ouverture pour renforcer son influence dans cette région stratégique.
Quel avenir pour la filière uranifère nigérienne ?
La suspension par Orano de ses activités soulève de nombreuses interrogations quant au devenir du secteur de l’uranium, pilier de l’économie nationale. Si un départ définitif du groupe français n’est pas à exclure, Niamey mise sur l’arrivée de nouveaux acteurs pour prendre le relais.
Outre la Russie, le Niger lorgne également du côté de la Chine, qui a multiplié ces dernières années les investissements sur le continent africain. Pékin, dont les besoins énergétiques sont immenses, pourrait voir d’un bon œil cette opportunité de sécuriser ses approvisionnements en uranium.
Une chose est sûre : la bataille pour le contrôle des ressources naturelles du Niger ne fait que commencer. Et dans ce grand jeu où se mêlent enjeux économiques et géostratégiques, le pays entend bien redistribuer les cartes en sa faveur. Reste à savoir si cette partie de poker menteur tournera à son avantage, ou si le Niger a misé un peu trop gros en défiant ainsi les puissances établies.
Les prochains mois s’annoncent donc décisifs pour l’avenir de la filière extractive nigérienne, et plus largement pour la stabilité et le développement de ce pays parmi les plus pauvres de la planète malgré son immense potentiel. Une chose est sûre : tous les regards sont désormais braqués sur Niamey, devenu le théâtre d’une lutte d’influence sans merci entre anciennes puissances coloniales et nouveaux acteurs émergents.