Imaginez un sarcophage égyptien vieux de plus de deux mille ans qui regarde droit dans les yeux une sculpture géante venue de l’île de Pâques. Ou une croix chrétienne chinoise du XVIIe siècle posée à côté d’une figure anthropomorphe océanienne. Ce n’est plus une utopie : c’est la réalité qui s’ouvre demain au Louvre.
Une galerie qui brise toutes les frontières
Mercredi, le musée le plus visité au monde dévoile la Galerie des cinq continents. Exit le vieux Pavillon des Sessions créé en 2000. Place à un espace totalement repensé de 1 000 m² où 130 œuvres venues d’Afrique, d’Asie, d’Océanie, des Amériques et d’Europe ne sont plus classées par continent ou par époque, mais par grandes questions humaines universelles.
Naître et mourir. Croire. Exercer le pouvoir. Autant de thèmes qui permettent des rapprochements aussi inattendus qu’éblouissants.
Quand l’histoire de l’art sort des cases
Laurence des Cars, présidente-directrice du Louvre depuis fin 2021, porte ce projet depuis quatre ans. Elle parle d’une « approche décloisonnée » de l’histoire de l’art. Fini le temps où chaque civilisation restait dans son coin. Ici, une statue grecque d’Aelius César (IIe siècle après J.-C.) fait face à la sculpture d’un dignitaire du Vanuatu du XIXe siècle. Deux figures du pouvoir séparées par des milliers de kilomètres et des siècles, mais qui se répondent instantanément.
Dans une même vitrine, un crucifix chinois du XVIIe siècle voisine avec une figure anthropomorphe de l’île de Pâques (XVIIIe-XIXe siècle). La foi, sous toutes ses formes, se regarde dans le blanc des yeux.
« Ça fait partie des projets que j’ai portés depuis quatre ans dans une volonté de rénovation complète du musée, y compris sur le plan de la sécurité. »
Laurence des Cars, présidente du Louvre
Un projet né dans la douleur… et dans l’urgence
Le timing n’est pas anodin. Quelques semaines après le vol spectaculaire de joyaux de la Couronne le 19 octobre dernier, Laurence des Cars a tenu à rappeler que la sécurité faisait partie intégrante du chantier. « Vous pourrez compter les caméras, vous pourrez compter les capteurs dans les vitrines », a-t-elle lancé avec un sourire entendu.
Mais au-delà de la réponse technique, c’est tout un modèle muséal qui évolue. Le Pavillon des Sessions, créé en 2000 pour accueillir temporairement des pièces destinées au futur musée du Quai Branly, n’avait jamais vraiment trouvé sa place au Louvre. Trop isolé, parfois mal accepté par certaines équipes internes. Laurence des Cars a donc décidé de tout reprendre à zéro dès 2024.
42 trésors du Louvre + 77 pièces du Quai Branly
Le résultat ? Un espace où cohabitent :
- 42 œuvres issues des collections propres du Louvre (antiquités égyptiennes, grecques, romaines, objets d’art…)
- 77 pièces prêtées par le musée du Quai Branly
- Quelques prêts exceptionnels, dont certains venant directement du Nigeria
Cette collaboration entre les deux grandes institutions parisiennes marque une étape importante. Elle préfigure peut-être des partenariats plus profonds à l’avenir.
La provenance enfin assumée
Dans chaque vitrine, les cartels ne se contentent plus de décrire l’objet. Ils ouvrent aussi la réflexion sur sa provenance. Un sujet brûlant alors que les demandes de restitution, notamment africaines, se multiplient.
Laurence des Cars l’admet sans détour : « C’est devenu un sujet prégnant pour l’ensemble des pays du monde. » En affichant clairement l’histoire parfois complexe de chaque pièce, le Louvre choisit la transparence plutôt que le silence.
Un musée en pleine mutation
Cette nouvelle galerie s’inscrit dans un vaste programme de rénovation. Le même jour, l’aile Richelieu voit réouvrir ses salles dédiées aux peintres italiens et espagnols des XVIIe et XVIIIe siècles, entièrement repeintes. D’autres espaces ont dû fermer temporairement pour vétusté. Le Louvre, bâtiment plusieurs fois centenaire, vit une cure de jouvence sans précédent.
Objectif affiché : « redonner le goût du Louvre à tous ses visiteurs », comme le résume Laurence des Cars.
Avec 8,7 millions de visiteurs en 2024 (dont 69 % d’étrangers), le défi est immense. Mais la nouvelle Galerie des cinq continents pourrait bien devenir le symbole de cette renaissance : un Louvre plus ouvert, plus contemporain, et résolument tourné vers le dialogue entre cultures.
À partir de demain, l’histoire de l’art ne sera plus tout à fait la même.









