Dans un contexte tendu, le gouvernement kényan a annoncé son intention de réintroduire certaines hausses d’impôts qui avaient été abandonnées il y a quelques mois suite à des manifestations meurtrières. Cette décision risque de raviver les tensions dans un pays où un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Un projet de budget controversé
Le président William Ruto, élu en 2022 en promettant de défendre les plus modestes, avait dû retirer fin juin un projet de budget très contesté dans la rue. Ce mouvement de protestation, initialement pacifique, avait viré au chaos, notamment dans la capitale Nairobi, faisant plus de 60 morts selon les ONG de défense des droits humains qui ont dénoncé une répression violente et disproportionnée.
Aujourd’hui, le gouvernement, croulant sous une dette d’environ 80 milliards de dollars, envisage de réintroduire certaines de ces hausses de taxes pour augmenter ses recettes budgétaires. Parmi les mesures prévues figurent des hausses de la TVA et de nouveaux prélèvements sur le secteur numérique en plein essor.
Taxation du secteur numérique
Une des mesures phares consiste à assujettir pour la première fois à l’impôt sur le revenu les travailleurs indépendants des plateformes de livraison de nourriture et de covoiturage. Ce secteur s’est fortement développé ces dernières années, offrant une source de revenus à de nombreux Kényans.
Ces nouveaux projets de taxes, qui doivent être prochainement soumis au parlement, ont été détaillés vendredi dans un encart explicatif du gouvernement publié par plusieurs médias locaux. Le président Ruto devrait s’exprimer plus en détail sur ces hausses d’impôts qui risquent de provoquer de nouveaux remous sociaux.
Un nouveau vice-président controversé
Parallèlement à ces annonces fiscales, un nouveau vice-président a prêté serment vendredi. Abraham Kithure Kindiki, jusqu’alors ministre de l’Intérieur, remplace Rigathi Gachagua, accusé de mener une politique de division ethnique et de corruption. Ce dernier a nié les faits mais a été destitué par le Sénat le 17 octobre.
Le choix de M. Kindiki, un universitaire et avocat de 52 ans originaire de la région clé du Mont Kenya, ne fait pas l’unanimité. Il avait en effet défendu M. Ruto lorsque ce dernier avait été accusé de crimes contre l’humanité après les violences post-électorales de 2007-2008. Il a aussi été critiqué pour avoir soutenu la police, accusée d’usage excessif de la force lors des récentes manifestations.
Le président Ruto affiche malgré tout sa confiance, déclarant que l’échec n’était « pas une option » et listant les projets en cours du gouvernement dans les domaines de l’enseignement supérieur, l’agriculture, la santé, l’éducation et le logement. Mais la réintroduction de ces hausses d’impôts impopulaires risque de compliquer la tâche de l’exécutif.
Tensions sociales et économiques
Le Kenya traverse une période économique et sociale difficile. Avec un tiers de la population vivant sous le seuil de pauvreté, les inégalités sont criantes et la colère gronde. Les dernières manifestations en sont le témoin, même si elles ont été sévèrement réprimées.
Sur le plan économique, le pays croule sous une dette colossale qui limite ses marges de manœuvre budgétaires. Le gouvernement se retrouve pris en étau entre la nécessité d’augmenter ses recettes et le risque de provoquer un nouveau brasier social en alourdissant la pression fiscale sur les ménages et les travailleurs précaires.
La réintroduction de ces hausses de taxes controversées est donc un pari risqué pour le président Ruto, qui avait pourtant été élu sur une promesse de défendre les plus modestes. Il lui faudra convaincre que ces sacrifices sont nécessaires pour redresser les finances publiques et financer les projets de développement, sans pour autant mettre en péril la fragile cohésion sociale du pays.
Un avenir incertain
L’annonce de ces nouvelles mesures fiscales ouvre une période d’incertitude pour le Kenya. Le gouvernement parviendra-t-il à les faire accepter sans déclencher une nouvelle vague de contestation ? Quel sera l’impact sur l’économie et le pouvoir d’achat déjà affaibli d’une grande partie de la population ?
Beaucoup dépendra de la capacité du président Ruto et de son nouveau vice-président à rassembler au-delà des clivages ethniques et à convaincre que ces efforts sont indispensables pour construire un Kenya plus prospère et plus juste. Un défi de taille dans un contexte social et politique explosif, où la confiance envers les dirigeants s’est fortement érodée.
Les prochaines semaines seront décisives pour l’avenir du Kenya. Le pays est à la croisée des chemins, tiraillé entre la nécessité de réformes douloureuses et le risque d’un embrasement social. Le gouvernement joue gros dans cette bataille, et avec lui la stabilité et le développement de ce pays clé d’Afrique de l’Est.