Dans un monde où la protection des espèces menacées est devenue un enjeu majeur, le Japon fait figure d’exception en s’accrochant avec détermination à une pratique ancestrale des plus controversées : la chasse à la baleine. Malgré les vives critiques de la communauté internationale et les actions coup de poing des défenseurs des cétacés, l’archipel nippon refuse de renoncer à cette tradition séculaire profondément ancrée dans son histoire et sa culture.
Une tradition baleinière japonaise enracinée
La chasse à la baleine au Japon remonte au moins au XVIe siècle, mais c’est véritablement à partir du XVIIe siècle qu’elle prend son essor. À l’époque d’Edo (1603-1868), période de paix et de développement économique, cette pêche s’étend et alimente les principaux centres commerciaux du pays. Si la consommation de viande est alors prohibée, celle de baleine fait exception et son ambre gris est très prisé pour ses vertus médicinales présumées.
Au XIXe siècle, l’arrivée des baleiniers américains dans le Pacifique nord, en quête d’huile de baleine pour alimenter les lampes, va bouleverser le destin du Japon. Leurs incursions répétées près de l’archipel, officiellement fermé aux étrangers, précipiteront son ouverture forcée au monde, scellée par les traités inégaux imposés par les puissances occidentales. La restauration de Meiji en 1868 enclenchera alors un processus de modernisation et d’industrialisation du pays, qui n’épargnera pas la chasse à la baleine.
L’âge d’or de la chasse à la baleine industrielle japonaise
Dans la première moitié du XXe siècle, la chasse à la baleine japonaise connaît un formidable essor. Dopée par le progrès technique, elle s’industrialise et se déploie outre-mer. À son apogée dans les années 1940, la flotte baleinière nippone aligne pas moins de 6 navires-usines et 45 navires de capture, avec près de 3000 hommes d’équipage. Dans le Japon exsangue de l’immédiat après-guerre, la viande de baleine, bon marché et nourrissante, devient un aliment de base et le restera jusque dans les années 1960.
C’est encore à cette tradition qui suit les grandes étapes de l’histoire de l’archipel que le Japon se réfère pour poursuivre cette chasse alors que cette viande n’est quasiment plus consommée.
Christian Kessler, historien spécialiste du Japon
Une chasse à la baleine de plus en plus critiquée
Mais à partir des années 1970, la chasse à la baleine va être de plus en plus décriée sur la scène internationale. En 1982, la Commission baleinière internationale (CBI) décrète un moratoire sur la chasse commerciale qui entre en vigueur en 1986. Le Japon s’y plie à contrecœur, non sans exploiter la faille autorisant la chasse « scientifique ».
Tokyo finira par claquer la porte de la CBI fin 2018 pour reprendre ouvertement la chasse commerciale dans sa zone économique exclusive dès juillet 2019. Une décision qui suscite l’indignation des défenseurs des cétacés, au premier rang desquels l’activiste canadien Paul Watson, fondateur de Sea Shepherd. Ce dernier, qui a mené de nombreuses campagnes d’obstruction musclées contre les baleiniers japonais, a bien failli être extradé vers le Japon en décembre 2024 après son arrestation au Danemark.
Le Japon campe sur ses positions malgré la pression
Mais en dépit des pressions internationales, le Japon reste inflexible. Pour Tokyo, la chasse à la baleine est une affaire de « souveraineté culturelle et alimentaire ». Face à une mondialisation galopante, l’archipel est déterminé à préserver coûte que coûte certaines de ses traditions, quitte à se singulariser.
Ironie de l’histoire, la viande de baleine, autrefois mets de survie, n’est quasiment plus consommée aujourd’hui par les Japonais, sauf lors d’occasions très spéciales. Les autorités s’efforcent de la remettre au goût du jour, mais peinent à convaincre les jeunes générations. La pêche, quant à elle, survit grâce aux subventions de l’État, davantage pour des raisons identitaires qu’économiques.
Le dernier épisode en date de ce bras de fer qui perdure depuis des années reste donc le refus du Danemark d’extrader Paul Watson vers le Japon en décembre 2024. Un nouveau revers pour Tokyo et une victoire pour les défenseurs des baleines. Mais le Japon ne lâche rien, continuant à naviguer à contre-courant de l’opinion internationale. Une obstination qui ne doit rien au hasard selon l’historien Christian Kessler : « en réactualisant cette chasse, en l’enracinant encore davantage […], en s’opposant donc fermement aux autres pays, au monde, le Japon se veut différent, unique, bref, cherche […] à rester en quelque sorte lui-même ». Un acharnement qui en dit long sur le lien intime et complexe qui unit l’archipel aux cétacés.