C’est une petite phrase qui n’est pas passée inaperçue. Lors d’un discours prononcé récemment, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a accusé la France d’avoir orchestré un “vrai grand remplacement” en Algérie durant la période coloniale, dans le but de “christianiser” le pays. Des propos qui ont fait polémique et ravivé les blessures mémorielles entre les deux pays.
Un “grand remplacement” à l’algérienne ?
Voici les propos exacts tenus par le président Tebboune :
L’Algérie a été choisie pour le vrai grand remplacement qui est de chasser la population locale pour ramener la population européenne. Combattre l’islam pour christianiser l’Algérie.
– Abdelmadjid Tebboune, président de l’Algérie
En employant le concept de “grand remplacement”, Tebboune fait référence à une théorie complotiste popularisée par l’écrivain français d’extrême-droite Renaud Camus. Selon cette théorie, il existerait un processus délibéré de substitution de la population européenne par une population non-européenne, principalement issue de l’immigration.
Mais le président algérien détourne ici le concept pour l’appliquer au passé colonial de l’Algérie. Selon lui, la France aurait sciemment cherché à remplacer la population algérienne par des colons européens, tout en s’efforçant d’éradiquer l’islam au profit du christianisme. Une accusation lourde de sens, dans un pays qui a subi 132 ans de colonisation française.
Colonisation et christianisation
Si le terme de “grand remplacement” est anachronique, il est indéniable que la France a mené une politique de peuplement européen en Algérie. À partir de 1830, des centaines de milliers de colons français, espagnols, italiens et maltais s’installent sur les meilleures terres, souvent confisquées aux populations locales.
En parallèle, des tentatives de christianisation ont bien eu lieu, même si elles sont restées marginales. Des congrégations religieuses, notamment les Pères blancs et les Sœurs blanches, s’efforcent d’évangéliser les musulmans algériens. Certains enfants indigènes sont scolarisés dans des institutions chrétiennes. Mais globalement, l’islam demeure la religion ultra-majoritaire du pays.
Un génocide algérien ?
Plus largement, Tebboune évoque une entreprise génocidaire à l’encontre du peuple algérien :
La résistance a duré 70 ans, avec des millions de morts. Des tribus et des villages ont été rasés. Il y a eu un génocide.
– Abdelmadjid Tebboune, président de l’Algérie
Si le caractère génocidaire de la colonisation fait toujours débat, la violence de la conquête et de la répression des insurrections est indéniable. La population algérienne a payé un très lourd tribut, qu’on estime entre 500 000 et plus d’un million de morts sur la période 1830-1962.
Quant à la guerre d’indépendance (1954-1962), elle aurait fait entre 300 000 et 400 000 morts côté algérien selon les historiens, et jusqu’à 1,5 million selon les autorités algériennes.
Une mémoire à vif
Au-delà de la véracité historique, la sortie de Tebboune illustre surtout la vitalité de la mémoire de la colonisation en Algérie. 60 ans après l’indépendance, les plaies sont encore à vif et le ressentiment envers l’ex-puissance coloniale n’a pas disparu.
Côté français, la « repentance » pour les crimes coloniaux peine à se concrétiser malgré quelques gestes symboliques. La question mémorielle demeure un point de friction majeur entre les deux pays.
En invoquant le « grand remplacement », le président algérien jette donc de l’huile sur le feu, tout en faisant un parallèle implicite avec la situation actuelle de l’Europe, présentée par certains comme « menacée » par l’immigration maghrébine et subsaharienne. Une manière de renvoyer la France à ses propres démons et contradictions.
Mais au-delà de l’instrumentalisation politique, ces propos reflètent surtout la persistance de blessures mémorielles profondes, que seul un véritable travail historique et mémoriel pourra apaiser. Un défi de taille, 60 ans après la fin de l’Algérie française.