Peut-on gouverner durablement sans majorité absolue à l’Assemblée nationale ? C’est le pari risqué dans lequel s’est engagé Michel Barnier en prenant la tête du gouvernement au lendemain des élections législatives de 2024. Une semaine après sa déclaration de politique générale, le Premier ministre vient déjà d’affronter une première motion de censure déposée par les groupes de gauche. Sans surprise, celle-ci n’a pas été adoptée, le Rassemblement national ayant choisi de s’abstenir. Mais ce répit pourrait n’être que de courte durée pour l’exécutif.
Un Premier ministre qui joue l’ironie face aux critiques
Avec 197 voix pour, bien en-deçà de la majorité requise de 289 députés, la motion portée par le socialiste Olivier Faure n’avait aucune chance d’être adoptée. Marine Le Pen avait en effet annoncé que son groupe ne la voterait pas «pour l’instant». Michel Barnier, habitué du Parlement européen, a usé de son sens de l’ironie pour répondre à ses détracteurs :
Je suis très content de vous retrouver. Je me sens bien parmi vous. Certes, le gouvernement est minoritaire. Mais dans cette Assemblée, il y a simplement des majorités relatives. Et parmi ces majorités relatives, celle qui accompagne le gouvernement est aujourd’hui la moins relative.
– Michel Barnier, Premier ministre
Du côté de la gauche, on dénonce un «détournement démocratique», le gouvernement étant issu d’«un parti rejeté par trois fois en un mois» et placé de fait «sous la tutelle du Rassemblement national». Mais faute d’alliance avec le RN, ces critiques restent pour l’heure sans conséquence.
Le spectre d’une censure brandis par le RN
Si le groupe de Marine Le Pen a choisi de ne pas voter la censure cette fois-ci, il agite déjà la menace pour la suite, comme l’a souligné avec malice le député Guillaume Bigot :
Notre groupe brûle de voter la censure. Il n’aura aucun scrupule à la voter demain. Mais nous ne la voterons pas aujourd’hui. On ne censure pas, car un seul tweet de Marine Le Pen suffit à infléchir la position du Premier ministre.
– Guillaume Bigot, député RN
Un ancien ministre macroniste anticipe : «Il y a nécessairement un jour où Marine Le Pen devra reprendre la main. La seule question, c’est de savoir quand». Ce jour-là, le gouvernement de Michel Barnier sera bel et bien sur la sellette.
Un groupe Renaissance diminué et divisé
La situation est d’autant plus périlleuse pour le Premier ministre que le soutien des députés de son propre camp, rebaptisé Ensemble Pour la République (EPR), semble s’effriter. Pendant le discours de Michel Barnier, seule une poignée d’entre eux était présente dans l’hémicycle.
Les relations sont notoirement tendues entre les proches de Gabriel Attal, patron du groupe parlementaire, et ceux de son successeur à Matignon. Certains macronistes de la première heure s’en tiennent désormais au service minimum vis-à-vis du chef du gouvernement.
Jusqu’où ira ce pas de deux entre le gouvernement et le RN ?
En résistant à cette première motion de censure, Michel Barnier gagne du temps. Mais sa marge de manoeuvre politique semble des plus réduites, suspendue au bon vouloir de Marine Le Pen. Une situation inédite sous la Ve République qui interroge sur la solidité et la légitimité démocratique de l’exécutif.
La présentation du projet de loi de finances 2025, dans les prochaines semaines, constituera un test majeur. Le Rassemblement national pourrait être tenté de durcir le ton pour marquer sa différence et imposer ses vues. La question de la réforme des retraites, autre dossier brûlant, promet également des passes d’armes à l’Assemblée.
Face à une opposition de gauche remontée et un allié d’extrême droite imprévisible, le gouvernement navigue à vue, sans certitude sur son avenir à moyen terme. Un ancien conseiller de l’Élysée résume : «Emmanuel Macron a créé un monstre politique qui peut le dévorer à tout moment. Il va falloir une sacrée dose de sang froid et de compromis pour durer».