C’est un coup de théâtre qui a secoué le monde du cinéma à Istanbul. Quelques heures seulement avant son ouverture, un festival de films d’art et d’essai très attendu a été purement et simplement annulé. La raison ? L’interdiction par les autorités locales de la projection du film “Queer”, avec l’ancien James Bond Daniel Craig, prévu pour la séance inaugurale.
Un film jugé “provocateur” par les autorités
Selon les organisateurs du festival, la plateforme de streaming MUBI, les autorités du district de Kadikoy ont justifié leur décision en affirmant que le film contenait un “contenu provocateur, susceptible de troubler l’ordre public”. Une explication qui n’a pas convaincu les équipes de MUBI, pour qui cette interdiction constitue “une entrave à la création et à la liberté d’expression”.
Les festivals sont des espaces de respiration qui célèbrent l’art et la diversité culturelle, et rassemblent les gens. Cette interdiction affecte non seulement un film mais aussi le sens et le but du festival tout entier.
Les organisateurs du festival
Daniel Craig dans un rôle controversé
Dans “Queer”, réalisé par l’Italien Luca Guadagnino, Daniel Craig troque son célèbre smoking de 007 pour incarner un homosexuel toxicomane en proie à la solitude et l’angoisse. Inspiré d’un roman de William S. Burroughs, le film, qui contient des scènes de sexe explicites, retrace les méandres d’une relation amoureuse entre deux hommes.
Si le long-métrage a été présenté en avant-première au prestigieux Festival de Venise le mois dernier, il semble que son contenu ait heurté la sensibilité des autorités turques, dans un pays où l’homosexualité reste un sujet tabou pour de larges pans de la société.
La communauté LGBT+ sous pression en Turquie
Malgré sa dépénalisation dès 1858, l’homosexualité demeure un thème sensible en Turquie. Le président Recep Tayyip Erdogan n’hésite pas à tenir régulièrement des discours alimentant la haine envers les personnes LGBT+, les accusant de menacer les valeurs familiales traditionnelles. La marche des fiertés d’Istanbul est d’ailleurs interdite chaque année depuis 2015 pour des raisons de sécurité.
Ce n’est pas la première fois que les autorités turques s’immiscent dans la production de contenus mettant en scène des personnages homosexuels. En 2020, le géant Netflix avait dû annuler le tournage d’une série en Turquie, dont l’un des protagonistes était gay, faute d’avoir obtenu les autorisations nécessaires.
Un coup dur pour la liberté artistique
L’annulation de ce festival constitue un véritable camouflet pour MUBI, diffuseur, producteur et distributeur mondial de films d’art et d’essai. Créée en 2007 par un entrepreneur turc, Efe Cakarel, cette plateforme, dont le siège est à Londres, propose ses services de streaming dans plus de 195 pays.
Au-delà du préjudice subi par les organisateurs, c’est toute la liberté de création artistique qui semble mise à mal par cette décision. En choisissant d’interdire la projection d’une œuvre sur la base de son contenu, les autorités envoient un signal inquiétant aux artistes et aux diffuseurs, susceptible d’encourager une forme d’autocensure.
Il reste à voir si cette annulation aura des répercussions sur la tenue de futurs événements culturels en Turquie, et si la communauté artistique internationale se mobilisera pour défendre la liberté d’expression face à ce qu’elle considère comme une censure inacceptable.