Daniil Kliouka, un professeur d’arts plastiques russe de 28 ans, menait une vie paisible à Dankov, petite ville située non loin de l’endroit où Léon Tolstoï rendit son dernier souffle. Passionné par le dessin, il enseignait dans une école ordinaire, sa salle de classe ornée de reproductions de grands maîtres comme Van Gogh. Mais en février 2023, son existence a basculé dans le cauchemar.
Arrêté et torturé pour des dessins satiriques
Le “crime” de Daniil ? Avoir griffonné sur un journal local quelques dessins moqueurs envers le pouvoir, ajoutant des moustaches, barbes et autres “démon” sur le front des représentants du Kremlin. Un geste anodin mais fatal. D’après lui, sa directrice l’a dénoncé au redoutable FSB, les services secrets russes, qui l’ont brutalement arrêté.
Lors de sa détention, Daniil affirme avoir été emmené “dans une cave” et torturé. Sous les coups, il aurait fait de faux aveux, reconnaissant avoir financé le groupe paramilitaire ukrainien Azov, considéré comme “terroriste” par Moscou. Des accusations qu’il nie avec force.
De professeur à prisonnier politique
Poursuivi pour “haute trahison”, Daniil risque une très lourde peine. Son procès se déroule à huis clos, sa défense muselée. Même sa famille, sous pression, n’ose plus le soutenir publiquement. Une situation courante pour les prisonniers politiques en Russie, dont le nombre ne cesse de grimper.
La délation, fléau de la société russe
Ce qui frappe dans l’histoire de Daniil, c’est le rôle de la délation. Un phénomène encouragé par le Kremlin qui appelle à chasser les “traîtres”. Partout dans le pays, des citoyens dénoncent un voisin, un collègue, pour des motifs parfois futiles. Les écoles, bastions conservateurs, n’échappent pas à la règle.
Sa dénonciation a été l’occasion de lancer ces poursuites, mais des gens comme lui sont poursuivis sans dénonciation partout en Russie
– Sergueï Davidis, Memorial
L’impact dévastateur sur les prisonniers et leurs proches
Pendant sa détention, Daniil a pu échanger des lettres poignantes avec une militante en exil, Antonina Polichtchouk. Grâce à elle, son histoire a pu être révélée, alors que les autorités s’efforcent de garder ces cas dans l’ombre. On y découvre le quotidien d’un homme brisé mais qui n’a pas perdu sa soif de dessiner.
Mais après 6 mois de correspondance, Antonina comprend que la partie est perdue. L’avocat commis d’office de Daniil ne le défend pas vraiment. Sa famille, tétanisée, reste silencieuse. Et en octobre 2024, le verdict tombe : 20 ans de camp à régime sévère, avec des visites et colis ultra-limités.
Un système carcéral opaque et brutal
Daniil va maintenant disparaître dans les tréfonds du système pénitentiaire russe. Un voyage vers l’inconnu, qui peut durer des semaines, dans des conditions effroyables. Sur place, la violence est la règle. Des détenus témoignent régulièrement de passages à tabac, de tortures, d’humiliations en tous genres.
La société russe face à la répression
Pour Daniil, le plus dur est peut-être l’indifférence d’une partie de la société russe. Dans une dernière lettre, il confie que beaucoup de ses compatriotes ont “fermé les yeux et ne les rouvrent plus”. Lui qui appartient à cette frange opposée au Kremlin, “pourchassée et haïe”, lance un ultime appel.
Si le monde entend ce message, je lui demande de ne pas fermer les yeux.
– Daniil Kliouka
La résistance par l’art et l’imaginaire
Malgré les épreuves, Daniil n’a pas renoncé à son amour du dessin. Cet art lui permet de “voir des choses qui n’ont jamais existé”. Une échappatoire salutaire dans l’enfer du goulag. Une manière aussi de résister, avec les armes de l’imaginaire, à la folie destructrice du régime de Vladimir Poutine.
Un tragique cas parmi tant d’autres
L’histoire de Daniil Kliouka n’est malheureusement pas isolée. D’après l’ONG Memorial, au moins 500 personnes sont emprisonnées en Russie pour des motifs politiques. Un chiffre sous-estimé car de nombreux cas restent méconnus, noyés dans le secret et l’arbitraire d’une justice aux ordres.
Derrière chaque détenu se cache un destin brisé, une famille anéantie. Des vies sacrifiées sur l’autel de la répression aveugle voulue par le Kremlin. Dans les geôles russes, combien d’autres Daniil attendent que le monde ouvre les yeux sur leur supplice ?