Dans une ruelle animée d’un souk de Tripoli, une ville portuaire nichée au nord du Liban, un atelier discret attire l’œil des passants. Là, un homme façonne avec soin des tarbouches, ces couvre-chefs emblématiques d’une époque révolue. Ce n’est pas seulement un métier, c’est une passion, un héritage, un lien avec le passé. Mais dans un pays marqué par les crises, cet art ancestral peut-il encore survivre ?
L’Héritage du Tarbouche au Cœur de Tripoli
Le tarbouche, ce couvre-chef de feutre souvent rouge, parfois orné de motifs délicats ou du cèdre libanais, est bien plus qu’un simple accessoire. Hérité de l’Empire ottoman, il incarne une histoire riche, un symbole de prestige et d’identité. À Tripoli, un artisan perpétue cette tradition avec une détermination rare, dans un atelier où le temps semble s’être arrêté.
Mohammed Al-Shaar, 38 ans, est le dernier gardien de cet artisanat au Liban. Depuis un quart de siècle, il façonne des tarbouches avec une précision héritée de son grand-père. Dans son petit atelier, les étoffes colorées s’entassent, et chaque pièce raconte une histoire, celle d’un savoir-faire transmis de génération en génération.
Un Savoir-Faire Ancestral
Le tarbouche n’est pas un simple chapeau. Sa confection demande patience, précision et une connaissance approfondie des techniques traditionnelles. Mohammed, formé en Égypte pour parfaire son art, explique que cet artisanat est dans sa famille depuis 125 ans.
Cela fait 125 ans que notre famille exerce ce métier.
Mohammed Al-Shaar
Chaque tarbouche est une œuvre unique. Les modèles varient : rouge éclatant, bordeaux profond, vert émeraude ou noir sobre. Certains arborent des broderies florales, d’autres le cèdre, symbole national. Mais au-delà de l’esthétique, c’est l’histoire qu’ils portent qui les rend précieux.
Une Tradition Enracinée dans l’Histoire
Le tarbouche a traversé les siècles. Popularisé sous l’Empire ottoman, il devient au XIXe siècle un symbole de statut, notamment après un décret du sultan Mahmoud II en 1829, imposant son port aux dignitaires. Au Liban, il était autrefois un accessoire du quotidien, porté avec fierté.
Ce couvre-chef servait aussi de moyen de communication subtil. Un tarbouche incliné à gauche ou à droite pouvait être un signe de séduction. À l’inverse, le faire tomber était une insulte. Ces codes, aujourd’hui oubliés, rappellent l’importance culturelle de cet objet.
Le tarbouche, bien plus qu’un chapeau, était un langage silencieux, un marqueur d’identité et de statut social.
Les Défis d’une Tradition en Péril
Malgré son importance historique, le tarbouche a perdu de sa popularité. Depuis la crise économique qui frappe le Liban depuis 2019, aggravée par les explosions dévastatrices du port de Beyrouth en 2020, la demande s’est effondrée. Mohammed ne vend plus que quelques pièces par mois, contre une production bien plus soutenue autrefois.
Avant la crise, son atelier employait trois artisans. Aujourd’hui, il travaille seul, luttant pour maintenir son activité. Les touristes, autrefois nombreux dans le souk, se font rares, et les Libanais ne portent plus le tarbouche au quotidien.
Qui Porte Encore le Tarbouche ?
Aujourd’hui, le tarbouche est principalement adopté lors d’événements culturels. Les troupes de dabké, la danse traditionnelle libanaise, l’arborent fièrement, tout comme certains cheikhs qui l’entourent d’un turban blanc. Mais pour le grand public, il reste un objet de nostalgie, un souvenir d’une époque révolue.
Pourtant, Mohammed refuse d’abandonner. Vêtu d’une tenue traditionnelle, il porte lui-même le tarbouche avec une fierté contagieuse. Son atelier, bien que modeste, est un bastion de résistance face à la modernité et à la crise.
Je sens que mon âme est liée à ce métier.
Mohammed Al-Shaar
Un Artisanat Face à la Crise Économique
La crise économique a durement touché le Liban. Inflation galopante, instabilité politique et chute du tourisme ont transformé le quotidien des artisans comme Mohammed. Autrefois, ses tarbouches se vendaient à un rythme soutenu, à environ 30 dollars l’unité. Aujourd’hui, il peine à écouler cinq pièces par mois.
Pour mieux comprendre l’impact de la crise, voici un aperçu des défis rencontrés :
Défi | Impact |
---|---|
Chute du tourisme | Réduction drastique des ventes |
Crise économique | Baisse du pouvoir d’achat |
Modernisation | Perte d’intérêt pour les traditions |
Un Symbole de Résilience
Malgré les difficultés, Mohammed Al-Shaar incarne la résilience. Son atelier est un refuge où l’histoire du Liban continue de vivre à travers chaque tarbouche. Il ne s’agit pas seulement de vendre un produit, mais de préserver une identité, un héritage culturel menacé par les aléas du temps.
En parcourant le souk de Tripoli, on ressent la vivacité d’un lieu où les traditions s’entrelacent avec la modernité. Les odeurs d’épices, les étoffes colorées et les échanges animés des marchands rappellent que, malgré les crises, la vie continue. Et au cœur de ce souk, Mohammed reste un gardien de la mémoire collective.
L’Avenir du Tarbouche
Alors que le tarbouche perd de son éclat dans la vie quotidienne, Mohammed rêve d’un renouveau. Il imagine un avenir où les jeunes générations redécouvriraient cet artisanat, peut-être à travers des initiatives culturelles ou des collaborations avec des artistes. Mais pour l’instant, il continue, seul, à façonner ces couvre-chefs avec amour.
Le tarbouche est un pont entre le passé et le présent, un symbole de la richesse culturelle du Liban. À travers le travail de Mohammed, c’est tout un pan de l’histoire qui refuse de s’éteindre. Mais pour combien de temps encore ?
Le tarbouche, un fil ténu reliant le Liban à son passé glorieux. Soutenir cet artisanat, c’est préserver une part de l’âme du pays.
Dans un monde où la modernité efface peu à peu les traditions, l’histoire de Mohammed Al-Shaar est une leçon de persévérance. Son atelier, niché dans le souk de Tripoli, est un rappel que l’artisanat est bien plus qu’un métier : c’est une façon de faire vivre l’histoire, une pièce de tissu à la fois.