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Le Coran Européen : Polémique et Liberté Académique

Un projet de recherche sur le Coran en Europe déclenche une tempête politique. Entre accusations d’islamisme et défense de la science, où est la vérité ?

Imaginez un groupe de chercheurs plongés dans des manuscrits anciens, explorant l’histoire intellectuelle de l’Europe à travers un prisme inattendu : le Coran. Ce texte, souvent perçu comme extérieur à la culture européenne, a pourtant joué un rôle clé dans les débats religieux et philosophiques du continent pendant des siècles. Mais que se passe-t-il lorsque cette exploration savante devient la cible d’attaques politiques ? C’est l’histoire du projet Le Coran européen, une initiative scientifique financée par l’Union européenne qui, loin de promouvoir une idéologie, se retrouve au cœur d’une controverse alimentée par des accusations d’islamisme et des craintes sécuritaires.

Un Projet Ambitieux au Cœur de la Polémique

Le projet EuQu, ou Le Coran européen, est une entreprise scientifique d’envergure. Lancé en 2019 avec un financement de 9,8 millions d’euros par le Conseil européen de la recherche, il réunit des historiens, philologues et codicologues de plusieurs pays, dont l’Espagne, la France, l’Italie et le Danemark. Leur objectif ? Étudier l’influence du Coran sur la culture et la religion européennes entre 1150 et 1850, période où ce texte a façonné des débats intellectuels, souvent dans des contextes inattendus.

Ce travail, qui se veut rigoureusement académique, explore comment le Coran a été traduit, interprété et utilisé dans des contextes chrétiens, notamment lors des controverses entre protestants et catholiques. Pourtant, depuis plusieurs semaines, ce projet est sous le feu des critiques, accusé par certains de promouvoir l’islamisme ou de menacer les valeurs européennes. Comment une étude historique peut-elle susciter un tel tollé ?

Une Étude Historique sous Pression

L’équipe du projet, dirigée par des chercheurs comme Mercedes García-Arenal (Espagne) et John Tolan (France), s’attache à démontrer que le Coran n’est pas un texte étranger à l’histoire européenne. Dès le XIIe siècle, avec la première traduction latine en 1143, il devient un outil théologique, parfois utilisé pour critiquer l’islam, parfois pour nourrir des débats internes au christianisme. Par exemple, Martin Luther, en 1543, préface une traduction du Coran pour mieux combattre l’islam et le pape, tandis que le catholique Guillaume Postel y voit des parallèles avec le protestantisme.

« Dire que le Coran fait partie de l’histoire intellectuelle de l’Europe, c’est aborder l’histoire comme une construction complexe. »

Fernando Rodríguez Mediano, historien

Cette approche, qui met en lumière la complexité de l’histoire européenne, semble gêner certains acteurs politiques. En France, des accusations portées par des figures médiatiques et des politiques ont transformé ce projet scientifique en un symbole de controverses culturelles. Les chercheurs, habitués aux bibliothèques et aux archives, se retrouvent soudain confrontés à des attaques publiques, parfois diffamatoires.

Les Origines de la Controverse

La polémique a pris racine avec des publications dans la presse française, où une anthropologue a accusé le projet d’être lié à des groupes fondamentalistes, notamment les Frères musulmans. Ces allégations, reprises par des politiques de partis d’extrême droite, ont conduit à des interpellations au Parlement européen. Certains élus ont même suggéré que le financement de ce projet représentait une menace pour les valeurs européennes.

Les critiques se résument souvent à une idée : étudier le Coran, c’est promouvoir l’islam. Pourtant, les chercheurs insistent : leur travail n’a rien d’idéologique. Il s’agit d’histoire, pas de prosélytisme.

Mercedes García-Arenal, historienne de renom, exprime son indignation face à ces accusations : « C’est ridicule. On nous accuse d’appartenir à des groupes extrémistes sans la moindre preuve. » Elle souligne que personne n’a pris la peine de consulter les publications du projet, qui incluent déjà onze volumes d’études, avec quatre autres à venir d’ici décembre 2025.

Un Climat d’Intimidation

Les attaques ont eu des conséquences concrètes. Des expositions prévues à Madrid et Londres ont été annulées, officiellement pour des raisons de sécurité face à d’éventuelles menaces islamistes. Ironiquement, les chercheurs se retrouvent pris entre deux feux : accusés par certains d’islamophilie, ils sont aussi perçus par d’autres comme s’appropriant un texte sacré, ce qui suscite des tensions.

Pour les chercheurs, ce climat d’intimidation est une menace directe à la liberté académique. « Ces attaques visent à décourager les universitaires de travailler sur des sujets sensibles », explique García-Arenal. Elle craint que les jeunes chercheurs, en particulier, hésitent à s’engager dans des projets similaires à l’avenir, par peur des représailles.

« Nous sommes face à une limite de la liberté d’expression et de la liberté académique. Ils transforment l’histoire en une émotion politique. »

Fernando Rodríguez Mediano

Une Défense Solidaire

Face à cette tempête, l’équipe du projet reste unie. L’Université de Nantes, où John Tolan est professeur émérite, envisage une plainte pour diffamation contre les auteurs des accusations les plus virulentes. Par ailleurs, 92 universitaires de renom ont signé une lettre ouverte pour défendre l’intégrité du projet et son importance pour la compréhension de l’histoire européenne.

Le soutien ne vient pas seulement des cercles académiques. À Nantes, une exposition sur le Coran dans l’Europe médiévale, ouverte jusqu’en août 2025, a reçu l’appui de la métropole. Cette initiative, qui présente des manuscrits, des objets et des tableaux, vise à montrer l’apport intellectuel du Coran dans des domaines comme la linguistique, l’histoire et le droit.

  • Première traduction latine du Coran en 1143, utilisée pour des débats théologiques.
  • Utilisation du Coran par Martin Luther pour critiquer le catholicisme.
  • Expositions à Vienne, Tunis et Nantes, avec une prochaine à Grenade.
  • Publication de 15 volumes d’études d’ici fin 2025.

Un Enjeu Culturel et Politique

La controverse autour du Coran européen dépasse le cadre académique. Elle reflète un débat plus large sur la place de l’islam dans l’histoire et l’identité européennes. Pour les chercheurs, nier l’influence du Coran, c’est ignorer une partie de l’histoire du continent, marquée par des échanges culturels complexes.

« L’Europe n’a pas été uniquement chrétienne », rappelle John Tolan. Cette affirmation, loin d’être une provocation, repose sur des faits historiques : le Coran a été un outil intellectuel, utilisé aussi bien pour critiquer que pour comprendre. Pourtant, dans un climat politique marqué par la montée de l’extrême droite et des discours populistes, cette réalité historique devient un terrain de bataille.

Vers une Redéfinition de l’Histoire ?

Les chercheurs du projet EuQu ne se contentent pas de défendre leur travail ; ils interrogent les motivations derrière ces attaques. Pour Fernando Rodríguez Mediano, la polémique est symptomatique d’une volonté de réécrire l’histoire pour la simplifier. « On transforme l’histoire en un outil politique, ce qui est dangereux », dit-il.

Ce phénomène n’est pas isolé. Partout en Europe, des projets académiques sur des sujets sensibles, comme l’immigration ou les minorités religieuses, font l’objet de critiques similaires. Le risque ? Une autocensure des chercheurs, qui pourraient éviter ces thématiques pour ne pas s’exposer à des campagnes de dénigrement.

Aspects du projet Détails
Financement 9,8 millions d’euros (Conseil européen de la recherche)
Durée 2019-2026
Équipe 30 chercheurs, 45 doctorants/post-doctorants
Objectif Étudier l’influence du Coran en Europe (1150-1850)

Quel Avenir pour la Recherche ?

Le projet Le Coran européen touche à sa fin, avec une dernière exposition prévue à Grenade en juin 2025. Mais la polémique soulève une question cruciale : comment protéger la liberté académique face aux pressions politiques ? Pour les chercheurs, la réponse passe par un engagement renforcé en faveur de la recherche indépendante.

« Étudier le Coran, ce n’est pas promouvoir l’islam, pas plus qu’étudier les mythes grecs ne signifie vénérer Zeus », ironise García-Arenal. Cette comparaison, bien que rhétorique, met en lumière l’absurdité de certaines accusations. Pourtant, dans un climat où l’histoire est instrumentalisée, les chercheurs doivent redoubler d’efforts pour faire entendre leur voix.

En attendant, le projet continue. Les volumes restants seront publiés, les expositions maintenues là où la sécurité le permet. Et les chercheurs, malgré les attaques, restent déterminés à défendre une vision nuancée de l’histoire européenne, où le Coran, loin d’être une menace, est une pièce essentielle du puzzle intellectuel.

Et vous, que pensez-vous ? Une étude historique peut-elle être accusée de trahir des valeurs culturelles ? Participez au débat en commentaire.

La controverse autour du Coran européen n’est pas qu’une querelle académique. Elle interroge notre capacité à accepter une histoire complexe, loin des récits simplistes. À l’heure où les tensions culturelles s’intensifient, ce projet nous rappelle que la connaissance, bien que parfois inconfortable, reste le meilleur antidote à la peur et à l’intolérance.

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