Les récentes décisions du Conseil Constitutionnel soulèvent de sérieuses questions quant à l’équilibre des pouvoirs au sein de la Ve République. En censurant certaines dispositions clés de la loi sur l’immigration et en empêchant la tenue d’un référendum sur le sujet, l’institution non élue semble s’arroger un pouvoir législatif qui devrait revenir au Parlement et au peuple. Une situation qui mène notre régime politique vers une impasse constitutionnelle préoccupante.
Un Conseil Constitutionnel qui outrepasse ses prérogatives ?
La décision du 25 janvier 2024 concernant la loi sur l’immigration a marqué un tournant. En censurant partiellement le texte voté par une large majorité au Parlement, le Conseil a pratiquement ramené la loi à sa version initiale, portée par le gouvernement. Un choix qui va à l’encontre de la volonté explicite des députés et sénateurs. Le Conseil offre ainsi à la présidence de la République un moyen de légiférer sans le Parlement, voire contre sa volonté.
En pratique le Conseil constitutionnel a offert à la présidence de la République une méthode pour légiférer sans le Parlement, et même contre sa volonté.
– Philippe Fabry, historien
Mais le Conseil est allé plus loin en censurant le 11 avril la proposition de référendum d’initiative partagée (RIP) des Républicains sur l’immigration. En considérant le projet contraire au Préambule de la Constitution de 1946, l’institution a envoyé un message clair : aucune réforme significative sur l’immigration, même votée par le peuple, ne sera possible tant que la Constitution actuelle perdurera.
Le Parlement et le peuple dépossédés de leur pouvoir législatif
Cette jurisprudence place le Parlement et le peuple français dans une position intenable. Ils se retrouvent privés de leur capacité de législateur sur un sujet aussi crucial que l’immigration, et cela au nom de la Constitution. Une situation d’autant plus problématique que cette dépossession est le fait d’un organe non élu, le Conseil Constitutionnel.
Nous voici donc rendus à une situation où le Parlement comme le peuple sont privés par le Conseil constitutionnel, organe non élu, de leur capacité de législateur, et cela au nom de la Constitution.
– Philippe Fabry, historien
Quelles solutions pour sortir de l’impasse ?
Face à ce blocage institutionnel, les options sont limitées. Une motion de censure n’obligerait pas le président à dissoudre l’Assemblée, d’autant que le Conseil lui a donné les moyens de gouverner sans majorité parlementaire. Espérer un changement de majorité au sein du Conseil lui-même prendrait des années, au vu des règles de renouvellement de ses membres.
Reste alors l’hypothèse d’un changement de Constitution, seule à même de contourner la jurisprudence actuelle du Conseil. Mais une telle réforme, exigeant de toucher à des piliers fondamentaux comme le bloc de constitutionnalité ou le contrôle du Conseil lui-même, apparaît difficilement réalisable dans le contexte politique actuel.
La Ve République dans une impasse démocratique
Les récents choix du Conseil Constitutionnel mènent donc la Ve République dans une véritable impasse démocratique. En concentrant toujours plus de pouvoirs entre les mains d’un exécutif pouvant se passer du Parlement et d’institutions non élues pouvant s’opposer à la volonté populaire, notre régime politique s’éloigne dangereusement de l’idéal démocratique.
Une situation intenable à long terme, qui appelle une profonde réflexion sur l’équilibre des pouvoirs au sein de nos institutions. Car sans un sursaut démocratique, c’est l’avenir même de la Ve République qui pourrait être remis en question par ces dérives autoritaires. L’heure est venue de repenser notre fonctionnement institutionnel, pour redonner toute sa place à la volonté du peuple et de ses représentants élus.