La filière française du cognac, un fleuron national déjà fragilisé par des menaces de lourdes surtaxes douanières en Chine, fait désormais face à un nouveau péril en provenance de son premier marché à l’export : les États-Unis. Suite à l’élection de Donald Trump, qui prévoit un renforcement des droits de douane, les professionnels du secteur s’alarment des répercussions potentiellement dévastatrices sur leurs ventes outre-Atlantique.
Sabine de Witasse, à la tête d’une exploitation familiale en Charente, résume ainsi le sentiment dominant : « On vient de prendre une grande gifle avec la Chine, et maintenant c’est les États-Unis. » Avec un client principal réalisant la majeure partie de son chiffre d’affaires à l’international, en Chine et aux USA, cette productrice s’attend inéluctablement à subir des contrecoups.
Une filière ultradépendante des exportations
Le cognac, c’est 72 500 emplois en France et un chiffre d’affaires de 3,35 milliards d’euros réalisé à 98% grâce aux exportations. Les États-Unis représentent, à eux seuls, 38% des expéditions, suivis par la Chine avec 25%. Cette répartition expose dangereusement la filière aux aléas du commerce international et aux décisions unilatérales de grandes puissances.
Depuis janvier, la menace plane comme une épée de Damoclès suite à l’ouverture par Pékin d’une enquête sur les eaux-de-vie à base de vin importées de l’Union européenne. Il s’agissait pour la Chine de riposter à une procédure similaire lancée par Bruxelles au sujet des subventions aux voitures électriques chinoises. Des surtaxes de l’ordre de 35% ont alors été évoquées, de quoi glacer d’effroi les producteurs de cognac.
En septembre dernier, fait sans précédent depuis 25 ans, environ 800 professionnels ont défilé dans les rues de la Charente pour exprimer leurs vives inquiétudes. Le Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC) a dénoncé le sentiment d’être « sacrifié » par le gouvernement français qui a soutenu fermement l’imposition par l’UE de droits de douane additionnels sur les voitures électriques importées de Chine.
Les autorités hexagonales ont beau mener actuellement « une intense activité diplomatique en Chine pour que les Chinois renoncent à cette mesure de rétorsion » selon Annie Genevard, Ministre de l’Agriculture, cela ne suffit pas à rassurer une filière cognac déjà fragilisée. Les exportations ont chuté l’an passé à 165,3 millions de bouteilles contre 212,5 millions en 2022. La production devrait, quant à elle, diminuer de 37% cette année en raison de conditions météorologiques défavorables.
Quand Trump promet des surtaxes
Dans ce contexte morose, les promesses de campagne de Donald Trump de relever de 10 à 20% les droits de douane inquiètent au plus haut point. Le retour au pouvoir de ce chantre du protectionnisme, déjà à l’origine d’une surtaxe de 25% sur les vins et spiritueux européens lors de son premier mandat, fait craindre le pire.
À l’époque, dans le cadre d’un long différend entre l’Europe et les USA sur les aides publiques à l’aéronautique, la taxe avait renchéri les vins français, plombé les ventes, avant d’être étendue au cognac et à l’armagnac. Un nouveau coup dur en perspective pour le roi des digestifs qui peine à se relever d’une pandémie ayant mis à l’arrêt les circuits de distribution.
Prise en étau entre les menaces de surtaxes venues de Chine et la perspective d’une hausse des droits de douane projetée par Donald Trump, la filière du cognac traverse une période d’incertitude et de tension comme rarement dans son histoire. L’économie d’un terroir d’excellence, fers de lance du savoir-faire français, se retrouve à la merci de décisions politiques sur lesquelles elle n’a aucune prise.
Cette crise met en lumière la fragilité d’un modèle bâti sur une dépendance extrême aux exportations et aux caprices de quelques marchés phare. Elle pousse les acteurs à s’interroger sur la nécessité de repenser leur stratégie pour l’avenir.
Sans un soutien affirmé des pouvoirs publics et une véritable politique de diversification des débouchés, le fleuron charentais pourrait vaciller sur son piédestal. C’est tout un pan de l’excellence française et des dizaines de milliers d’emplois qui se retrouvent aujourd’hui sur la sellette, suspendus aux décisions de dirigeants étrangers. Un constat amer et un signal d’alarme pour cette filière d’exception qui doit impérativement réinventer son modèle si elle veut assurer sa pérennité.