La France traverse une période de profonds bouleversements. Les fractures se creusent, les incompréhensions s’accroissent, les ressentiments s’exacerbent. Un fossé semble se creuser inexorablement entre deux France qui ne se comprennent plus, qui ne se parlent plus. D’un côté, les élites intellectuelles, économiques et politiques, concentrées dans les grandes métropoles, de l’autre les classes populaires et moyennes, souvent reléguées dans les périphéries urbaines et les zones rurales en déclin. Un clivage lourd de menaces pour la cohésion nationale et la vitalité démocratique du pays.
Les Symptômes d’un Malaise Profond
Ces derniers mois, les symptômes de ce malaise se sont multipliés, à travers une série de pétitions et de tribunes signées par des intellectuels et universitaires. Appels contre le Rassemblement National, mises en garde contre les dangers du populisme… A chaque fois, des centaines de signatures prestigieuses, mais qui semblent ne s’adresser qu’à des convaincus. Le sociologue Yann Raison du Cleuziou exprime ainsi son malaise face à ces démarches :
Je crains que cette liberté même dont je jouis n’ait été volée à d’autres. Que si bien des Français veulent renverser la table, c’est parce qu’ils ne pouvaient pas s’y asseoir.
– Yann Raison du Cleuziou
Derrière la montée des votes protestataires, c’est bien un profond sentiment d’exclusion et de relégation qui s’exprime. Exclusion géographique, avec des territoires délaissés par les services publics et le dynamisme économique. Exclusion sociale, avec le spectre du déclassement qui hante de plus en plus de familles. Exclusion culturelle aussi, avec le sentiment de ne plus être entendu ni respecté dans ses valeurs et son mode de vie.
Un Ascenseur Social Bloqué
Au cœur du problème, il y a incontestablement la question des inégalités croissantes et de l’ascenseur social bloqué. Alors que la promesse républicaine d’émancipation par l’école et le mérite s’étiole, les élites semblent se reproduire entre elles, laissant sur le bord du chemin une part croissante de la population. Un sentiment d’injustice et d’abandon nourri aussi par les affaires de corruption et de conflits d’intérêts qui n’en finissent plus d’éclabousser le monde politique.
Des “Révolutions” en Trompe-l’œil
Pendant ce temps-là, une partie des élites intellectuelles semble se satisfaire de “micro-révolutions” sociétales, présentées comme d’immenses avancées. Mais pour beaucoup de Français, ces évolutions paraissent bien dérisoires face à l’ampleur des problèmes concrets auxquels ils sont confrontés. Pire, elles donnent parfois l’impression de servir de diversion pour ne pas affronter des sujets plus épineux, comme l’explique Yann Raison du Cleuziou :
Je crains qu’en jetant sans cesse le képi du maréchal Pétain à la figure des Français qui votent mal, nous manquions de courage. Celui de reconnaître ceux que nous avons quittés comme des concitoyens.
– Yann Raison du Cleuziou
Renouer le Dialogue, Retrouver le Commun
Face à cette fragmentation inquiétante de la société française, il y a urgence à renouer le dialogue, à retisser des liens, à retrouver le sens d’un destin commun. Cela passe par une véritable prise de conscience des élites, qui doivent sortir de leur entre-soi et aller à la rencontre de cette France qu’elles ne côtoient plus. Cela implique de remettre au cœur du débat les sujets qui fâchent mais qui préoccupent une majorité de Français : emploi, pouvoir d’achat, sécurité, immigration…
Mais au-delà, c’est un véritable sursaut collectif qui est nécessaire, pour refonder un pacte républicain adapté aux défis de notre époque. Un nouveau récit national, qui ne soit pas un repli identitaire mais un projet d’avenir fédérateur, offrant des perspectives à tous. Des politiques volontaristes de rééquilibrage des territoires et de justice sociale, pour enrayer la mécanique infernale de la désintégration. Un immense chantier, qui engage la responsabilité de tous, décideurs comme citoyens.
L’Exigence Démocratique
Car c’est bien la vitalité de notre démocratie qui est en jeu. Une démocratie qui ne peut plus se contenter d’être une juxtaposition d’individus et de communautés, mais doit redevenir une aventure collective, soucieuse d’inclure tous les citoyens. Une démocratie de la délibération, du compromis, du respect mutuel, loin des anathèmes et des instrumentalisations. Une haute exigence, à la mesure des périls qui nous guettent si nous échouons à réinventer ce commun qui fait une Nation.
