En cette froide journée d’hiver à Séoul, les larmes de joie et les cris d’allégresse des Sud-Coréens résonnent dans les rues de la capitale. Ils saluent le vote historique du parlement qui vient de destituer le président Yoon Suk Yeol, suite à sa tentative avortée d’imposer la loi martiale dans le pays pour la première fois en plus de 40 ans. Retour sur une journée qui restera dans les annales de la démocratie coréenne.
Plus de 200 000 personnes rassemblées devant l’Assemblée nationale
Dès l’annonce du résultat du vote, qui a vu 204 députés se prononcer pour la destitution contre 85 voix, c’est l’euphorie dans les rangs des manifestants massés depuis le matin devant le parlement. Selon les estimations de la police, plus de 200 000 personnes s’étaient déplacées pour réclamer le départ de Yoon Suk Yeol. Alors que la nouvelle tombe, les chants et danses populaires explosent au son des tubes de K-pop qui passent en boucle sur les enceintes. Les protestataires s’étreignent et pleurent de bonheur.
« Je suis tellement heureuse que c’est difficile à mettre en mots, témoigne Yeo So-yeon, 31 ans. Si ça n’avait pas réussi ce soir, j’étais prête à revenir manifester chaque semaine. Il était crucial d’être présent pour ce moment si joyeux et historique. » Dans la foule compacte, où il devient difficile de se frayer un chemin, les gens agitent leurs bâtons lumineux, applaudissent et sautent sur place. L’hymne de la contestation « Into the New World » du girls band Girls’ Generation résonne.
« Quand la destitution a été proclamée, tout le monde s’est mis à pleurer »
« Au moment où la destitution a été officiellement annoncée, tout le monde a commencé à pleurer, moi y compris, raconte Seong Jeong-lim, un manifestant de 42 ans. Nous sommes les véritables maîtres de ce pays ! » À ses côtés, Choi Jung-ha, 52 ans, danse de joie : « N’est-ce pas incroyable que nous, le peuple, ayons réussi cela tous ensemble? »
L’ambiance est à la fête, comme lors d’un immense concert en plein air. Des airs de Noël se mêlent même aux slogans politiques. De nombreuses familles, venues avec leurs enfants en bas âge, savourent ce moment. « Je veux leur offrir un avenir meilleur, comme tous les parents, explique Kim Ji-woo en désignant ses jumeaux de 18 mois. J’espère qu’ils se souviendront d’avoir été les témoins de l’Histoire. »
Un vote serré qui a vu des députés de la majorité faire défection
Si l’opposition était unie derrière l’idée de destituer le président, le défi était de convaincre suffisamment d’élus du parti au pouvoir, le PPP de Yoon Suk Yeol, de voter en faveur de la motion. Il fallait en effet une majorité des deux tiers, soit 200 députés sur les 300 que compte l’Assemblée. Au final, 12 députés PPP semblent avoir fait défection pour permettre d’atteindre les 204 voix nécessaires.
« Il aurait été difficile pour les députés au pouvoir d’ignorer les appels de plus en plus nombreux venant de la population », analyse Lee Yong-ju, 55 ans, qui dit n’avoir jamais douté de l’issue. Cho Hyun-woo, venu spécialement de Busan dans le sud du pays, abonde : « C’était mon devoir de citoyen. Je n’ai pas eu à réfléchir à deux fois. »
La Cour constitutionnelle a maintenant 180 jours pour statuer
Si le parlement a voté la destitution, le feuilleton politique est loin d’être terminé pour autant. Conformément à la Constitution, le président Yoon Suk Yeol est pour l’instant suspendu de ses fonctions, le temps que la Cour constitutionnelle valide ou non ce vote. Les neuf juges qui la composent disposent d’un délai de 180 jours pour rendre leur décision, qui sera définitive et sans appel.
En attendant, c’est donc le Premier ministre Han Duck-soo qui assurera l’intérim à la tête de l’État. Mais en cette soirée historique, où la soif de démocratie l’a emporté sur une tentative de dérive autoritaire, les Sud-Coréens savourent leur victoire, durement acquise. Un nouveau chapitre s’ouvre pour le pays.