Imaginez un pays où les concessionnaires automobiles jubilent, où les avions décollent remplis de voyageurs, mais où la moitié de la population peine à boucler ses fins de mois. Bienvenue en Argentine, sous l’ère de Javier Milei. Ce paradoxe économique, où prospérité et précarité cohabitent, interroge : qui profite vraiment de la Milei-conomie ? Cet article plonge dans les rouages d’une nation à deux vitesses, entre espoirs d’une reprise économique et réalités d’une fracture sociale grandissante.
Une Argentine Divisée : Les Deux Visages de l’Économie
Depuis l’arrivée au pouvoir de Javier Milei, l’Argentine connaît une transformation économique marquée par des réformes ultralibérales. La stabilisation du peso, la baisse des taux d’intérêt et l’assouplissement des importations ont donné un coup de fouet à certains secteurs. Mais cette embellie, loin d’être universelle, semble creuser un fossé entre ceux qui en profitent et ceux laissés pour compte. Comment expliquer ce contraste saisissant ?
Le Boom des Secteurs Favorisés
Dans les concessions automobiles, l’enthousiasme est palpable. Les ventes de voitures neuves ont bondi de 78 % au premier semestre 2025 par rapport à l’année précédente. Les raisons ? Des taux d’intérêt en baisse, des crédits plus accessibles et des promotions alléchantes. Pour les Argentins qui ont les moyens, acheter une voiture à 15 600 dollars devient une réalité tangible, un luxe impensable il y a encore quelques années.
« C’est le meilleur premier semestre depuis sept ans », s’enthousiasme un représentant du secteur automobile.
L’immobilier, lui aussi, montre des signes de reprise. À Buenos Aires, les ventes de biens ont progressé de 22 % en mai 2025. Les crédits hypothécaires, autrefois inaccessibles à cause d’une inflation galopante, refont surface. Cette dynamique profite surtout à ceux qui peuvent se permettre d’investir, soutenus par un peso stabilisé et des conditions de crédit assouplies.
Un agent immobilier de la banlieue de Buenos Aires confie : « Avant, on pouvait passer des mois sans une vente. Aujourd’hui, on en conclut cinq par mois. »
Le tourisme international illustre également cette embellie. Entre janvier et avril 2025, 6 millions d’Argentins ont voyagé à l’étranger, une hausse de 70 % par rapport à 2024. Les destinations comme le Brésil attirent en masse, avec des avions remplis à craquer. Mais ce dynamisme a un revers : le peso fort décourage les visiteurs étrangers, en chute de 21 %.
Les Perdants de la Reprise
Pourtant, cette reprise économique ne touche pas tous les Argentins. Une étude récente d’un cabinet-conseil renommé pointe une réalité alarmante : la moitié de la population déclare ne pas arriver à joindre les deux bouts. Pour beaucoup, les dépenses de base, comme l’électricité ou les transports, absorbent l’essentiel des revenus, forçant à reporter ou annuler d’autres achats.
La consommation alimentaire, baromètre de la santé économique des ménages, est en baisse. Les friandises, desserts et autres produits non essentiels disparaissent des paniers. Les Argentins se concentrent sur le strict nécessaire, un choix dicté par un pouvoir d’achat qui stagne pour les classes populaires.
« Les gens n’achètent que ce qui est indispensable », déplore un représentant des épiceries de la province de Buenos Aires.
Les petites entreprises, comme celles du secteur de la construction, ressentent également cette pression. À Mendoza, les foyers renoncent à des réparations ou travaux, préférant allouer leurs ressources à des besoins immédiats. Sur dix devis proposés, seuls deux sont acceptés, signe d’une prudence financière généralisée.
Une Classe Moyenne en Péril
La classe moyenne, jadis pilier de l’économie argentine, semble particulièrement fragilisée. La politique d’austérité budgétaire, symbolisée par la « tronçonneuse » de Milei, a entraîné la suppression de près de 50 000 emplois publics en un an et demi. Cette rigueur, combinée à des hausses des coûts des services essentiels, érode le pouvoir d’achat.
Les salaires, bien que parfois revalorisés, peinent à suivre l’augmentation des prix de l’énergie, des transports ou de l’éducation. Pour beaucoup, avoir un emploi ne suffit plus à garantir une vie décente. Cette réalité alimente un sentiment d’injustice, alors que les ventes de voitures haut de gamme, elles, prospèrent.
Indicateur | Évolution |
---|---|
Ventes de voitures neuves | +78 % (1er semestre 2025) |
Ventes immobilières (Buenos Aires) | +22 % (mai 2025) |
Voyages à l’étranger | +70 % (janv.-avril 2025) |
Pauvreté | 38,1 % (fin 2024) |
Le Peso Fort : Une Arme à Double Tranchant
La stabilisation du peso, souvent vantée comme une réussite du gouvernement, est au cœur de ce paradoxe. Si elle facilite les voyages à l’étranger et les importations, elle rend l’Argentine moins attractive pour les touristes étrangers. Cette surévaluation, selon certains économistes, freine également la compétitivité des exportations, un secteur clé pour l’économie.
Pour les Argentins les plus aisés, ce peso fort est une aubaine. Il leur permet d’épargner en dollars ou de s’offrir des escapades internationales. Mais pour la classe populaire, qui représente environ 50 % de la population avec des revenus inférieurs à 750 dollars par mois, cette dynamique reste hors de portée.
Un Soutien Fragile à Milei
Malgré ces défis, Javier Milei conserve un soutien notable, particulièrement dans des provinces comme Mendoza, où il a recueilli 70 % des voix lors de la présidentielle de 2023. Beaucoup continuent de croire en sa promesse de transformer l’économie argentine, espérant que les sacrifices actuels porteront leurs fruits à long terme.
Cependant, cette confiance pourrait s’éroder à l’approche des élections législatives d’octobre 2025. Les sondages, pour l’instant cléments, pourraient basculer si les inégalités continuent de se creuser. La question est : jusqu’à quand les Argentins accepteront-ils de patienter ?
« Les gens continuent de croire que ce gouvernement arrivera à changer les choses », note un entrepreneur de Mendoza.
Vers Où Va l’Argentine ?
L’Argentine de Milei est à un carrefour. Si les indicateurs macroéconomiques s’améliorent, avec une inflation en baisse et une reprise dans certains secteurs, la fracture sociale s’aggrave. La Milei-conomie semble favoriser une élite capable d’investir et de consommer, tandis que la classe moyenne et les plus démunis luttent pour survivre.
Pour résumer, voici les dynamiques clés de cette économie à deux vitesses :
- Reprise sectorielle : automobiles, immobilier et tourisme international en forte croissance.
- Inégalités croissantes : 50 % de la population peine à couvrir ses dépenses de base.
- Peso fort : avantageux pour les plus aisés, mais pénalisant pour le tourisme et les exportations.
- Austérité : suppressions d’emplois publics et hausse des coûts des services essentiels.
L’avenir dira si les réformes de Milei parviendront à réconcilier ces deux Argentine : celle qui prospère et celle qui survit. Pour l’heure, le pays oscille entre optimisme prudent et frustration croissante, dans un équilibre fragile qui pourrait redéfinir son paysage économique et social pour les années à venir.