La sonnette d’alarme est tirée. Alors que la France continue de perdre du terrain sur le plan industriel, des experts du secteur appellent à un sursaut. Pour eux, miser principalement sur les datacenters et la logistique comme l’ont récemment fait de grands groupes étrangers ne permettra pas de redresser la barre. Seule une politique volontariste de réindustrialisation, axée sur la production matérielle, peut selon eux rendre au pays sa souveraineté et son indépendance économique. Décryptage d’un enjeu crucial pour l’avenir.
La désindustrialisation française, une réalité préoccupante
Le constat est sévère. Malgré quelques annonces récentes, comme les milliards promis par Microsoft et Amazon dans le cloud ou la logistique, la part de l’industrie dans l’économie française n’a cessé de reculer ces dernières décennies. Aujourd’hui, elle ne pèse plus que 17% du PIB, contre encore 27% en Allemagne. Un écart considérable qui explique en grande partie les difficultés du pays à faire face aux crises et à peser sur la scène internationale.
On n’industrialisera pas un pays en créant des entrepôts, qu’ils stockent des données ou des denrées. L’industrie, ce n’est pas ça.
Alain Vaudrey, journaliste
Certes, les datacenters et la logistique ont leur importance. Mais pour les experts du groupe de réflexion Prométhée, ils ne constituent pas à eux seuls une politique industrielle digne de ce nom. Car les besoins matériels restent une réalité, de l’alimentation au logement en passant par la santé ou la défense. « Quel que soit le développement des services et des biens virtuels, il n’en reste pas moins que nous nous nourrissons de matière, que nous vivons dans des maisons matérielles », rappellent-ils.
La force du tissu productif, clé de la résilience russe
Pour illustrer l’importance d’une base industrielle solide, les experts prennent l’exemple de la résilience de l’économie russe face aux sanctions occidentales liées à la guerre en Ukraine. Malgré un PIB limité, équivalent à celui de l’Allemagne, le pays résiste étonnamment bien. La raison ? Le poids toujours considérable de sa production matérielle, qui représente un tiers de sa richesse nationale.
- Part de l’industrie dans le PIB russe : 33%
- Part de l’industrie dans le PIB allemand : 27%
- Part de l’industrie dans le PIB français : 17%
Un protectionnisme assumé pour reconstruire l’industrie française
Mais comment faire pour stopper le déclin industriel français et inverser la tendance ? Les signataires de la tribune ne croient guère aux vertus du « marché libre et non faussé » cher à Bruxelles. Pour eux, la reconstruction d’une base productive nationale passe nécessairement par des mesures de protectionnisme assumées :
- Politique du crédit et politique monétaire favorables à l’investissement productif
- Réservation des marchés publics stratégiques aux entreprises françaises
- Aides d’État ciblées sur les secteurs et entreprises prioritaires
- Campagnes de communication et de sensibilisation du grand public
Des mesures interventionnistes qui ne devraient pas effrayer selon eux, à l’heure où les États-Unis de Biden ou la Chine de Xi Jinping n’hésitent pas à faire primer leurs intérêts stratégiques sur le libre-échange. La pandémie et la guerre en Ukraine ont montré les limites d’une mondialisation débridée et les risques d’une trop grande dépendance extérieure.
Une France incapable de fabriquer de l’aspirine, des masques, des obus, des drones ou des machines-outils sera par force une France dépendante des choix faits ailleurs. Et mille datacenters n’y changeront rien.
Extrait de la tribune
Vers une prise de conscience des décideurs ?
L’appel des industriels sera-t-il entendu en haut lieu ? Certains signaux pourraient laisser penser que le vent est en train de tourner. Les récents débats sur la réindustrialisation ou la souveraineté économique, ainsi que certaines mesures du plan France 2030, montrent une préoccupation croissante des pouvoirs publics pour la question productive.
Mais il reste beaucoup à faire pour tranformer l’essai et hisser l’effort de reconstruction industrielle au niveau des enjeux. Cela passera nécessairement par un changement de logiciel et un volontarisme politique renouvelé au service d’une grande ambition nationale. Les mois et années à venir seront décisifs pour déterminer si la France saura ou non renouer avec son prestigieux passé industriel.