Le Premier ministre Michel Barnier a annoncé jeudi son intention de lancer dès l’année prochaine un grand chantier autour de “l’allocation sociale unique”. Une réforme d’envergure qui vise à encourager le retour à l’emploi en simplifiant le maquis des aides sociales. Mais ce projet suscite déjà des inquiétudes sur une éventuelle remise en cause de notre modèle social.
Fusionner les aides pour plus de lisibilité
L’idée de base est simple : rassembler les différentes prestations sociales (RSA, APL, prime d’activité…) en une seule allocation, versée automatiquement à ceux qui y ont droit. L’objectif est de rendre le système plus lisible et de lutter contre le non-recours aux aides, tout en responsabilisant les bénéficiaires.
Pour Michel Barnier, il s’agit de faire en sorte qu’au bout du compte, « ça paye plus de travailler que de ne pas travailler ». Le gouvernement veut ainsi inciter les allocataires à reprendre un emploi en s’assurant qu’ils y gagnent financièrement.
Il faut que le travail paie plus que l’addition des allocations.
Michel Barnier, Premier ministre
Lutter contre les trappes à inactivité
Aujourd’hui, la superposition des aides (nationales et locales) et leurs modalités de calcul parfois complexes peuvent créer des effets de seuil. Certaines personnes peuvent avoir intérêt à ne pas travailler, ou à temps partiel, pour ne pas perdre certains avantages. C’est ce qu’on appelle les trappes à inactivité.
Avec une allocation unique, dont le montant diminuerait progressivement à mesure que les revenus d’activité augmentent, le gouvernement espère supprimer ces effets pervers. Il s’agirait de favoriser une reprise d’emploi progressive, sans perte brutale de ressources.
Simplifier un système devenu illisible
Au-delà des trappes à inactivité, c’est toute la complexité du système actuel que le gouvernement veut réformer. Aujourd’hui, il existe de multiples aides, chacune avec ses propres critères et démarches. Un maquis devenu illisible pour beaucoup d’allocataires potentiels.
- RSA (revenu de solidarité active)
- Prime d’activité
- Allocations logement (APL, ALF, ALS)
- AAH (allocation adultes handicapés)
- ASS (allocation de solidarité spécifique)
- Aides locales (départements, CCAS…)
Passer à une prestation unique versée automatiquement permettrait de clarifier le dispositif. Cela limiterait aussi le non-recours aux droits, qui concerne aujourd’hui 30 à 40% des bénéficiaires potentiels du RSA par exemple.
Des arbitrages politiques sensibles
Mais pour parvenir à une telle simplification, il faudra trancher des questions politiquement sensibles. Quel périmètre exact pour cette allocation unique ? Quelles conditions d’éligibilité ? Quel montant, qui ne soit ni une perte pour les allocataires, ni une charge supplémentaire pour les finances publiques ? Autant de sujets qui s’annoncent explosifs.
Certains à droite, comme Laurent Wauquiez, plaident pour une allocation unique plafonnée à 75% du SMIC, afin de ne pas désinciter à travailler. Mais une telle réforme pourrait être perçue comme une remise en cause de notre modèle social. La gauche, elle, craint une perte de droits pour les plus précaires.
Le diable se cache dans les détails. Une allocation unique, pourquoi pas, mais avec quel montant, quelles conditions ? Le risque c’est d’aller vers un modèle d’assistance minimale façon RSA.
Un député de gauche
Un chantier de longue haleine
Michel Barnier en est bien conscient. Il a prévenu que ce chantier, qui doit débuter en 2024, prendra du temps, sans doute plusieurs années. Il faudra en effet une vaste concertation avec les partenaires sociaux et les collectivités locales, qui gèrent une partie des aides. Le diable se nichera dans les détails techniques et les arbitrages politiques.
Mais pour le Premier ministre, cette réforme est indispensable pour redonner du sens à notre système de solidarité. Objectif affiché : que le travail redevienne plus rémunérateur que l’assistance, sans pour autant précariser les plus fragiles. Un pari ambitieux qui promet de vifs débats dans les mois à venir.