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L’Allemagne Protège Sa Constitution Face à la Montée de l’Extrême Droite

Le Bundestag a voté pour renforcer la protection de la Constitution face à la poussée de l'extrême droite. Une décision historique pour sauvegarder la démocratie allemande, mais qui suscite la controverse. Quels sont les enjeux de cette réforme et pourquoi maintenant ? Décryptage.

En cette période électorale agitée en Allemagne, une inquiétude grandissante face à la montée de l’extrême droite a poussé les députés à unir leurs forces au-delà des clivages partisans. Dans un vote solennel au Bundestag ce jeudi, une large majorité a adopté un texte visant à renforcer la protection de la Constitution et de la Cour constitutionnelle fédérale face aux menaces extrémistes et populistes.

Cette décision cruciale, saluée par le chancelier Olaf Scholz comme un témoignage de « coopération démocratique », intervient alors que le parti d’extrême droite AfD pourrait réaliser une percée lors des prochaines législatives de février. Un spectre qui réveille les souvenirs douloureux de « l’échec de la République de Weimar » et de l’accession au pouvoir des nazis en 1933, comme l’a rappelé la ministre de l’Intérieur Nancy Faeser.

Une réforme pour sanctuariser la Cour constitutionnelle

Au cœur de cette réforme : inscrire dans le marbre de la Loi fondamentale la structure actuelle de la Cour constitutionnelle, composée de deux sénats de huit juges chacun nommés pour un mandat de douze ans maximum. Des règles jusqu’ici définies par une simple loi, qui pourraient désormais être modifiées uniquement par une majorité des deux tiers au Parlement. Un garde-fou démocratique pour empêcher toute mainmise politique sur cette institution, véritable « gardienne » de l’État de droit selon Nancy Faeser.

Le mode d’élection des 16 juges, choisis à parts égales par le Bundestag et le Bundesrat (chambre des Länder), serait lui aussi gravé dans la Constitution. Une manière de « continuer à se partager » équitablement la nomination de la Cour, raille Fabian Jacobi, député AfD, qui dénonce une manœuvre des partis traditionnels pour exclure sa formation de ce processus.

Une course contre la montre face à l’AfD

Pour beaucoup d’observateurs, l’adoption de ce texte à la hâte relève d’un calcul politique. Il s’agit de profiter de la confortable majorité des deux tiers dont disposent encore les partis pro-européens au Bundestag, une configuration menacée par la poussée sondagière de l’AfD. Crédité d’environ 19% des intentions de vote, le parti pourrait considérablement renforcer son poids au Parlement en février prochain, et potentiellement bloquer ce type de réformes constitutionnelles à l’avenir.

C’est un jour décisif. Cette majorité des deux tiers sans l’AfD n’est pas garantie pour l’avenir.

Le magazine Der Spiegel

Un front républicain qui se fissure

Si la plupart des partis se sont rassemblés derrière ce projet de loi, des voix dissonantes se font entendre, notamment au sein des libéraux du FDP. Plusieurs députés ont refusé de voter le texte, critiquant une réforme précipitée et inutile. Un coup dur pour ce parti, allié traditionnel de la CDU/CSU, qui risque lui-même d’être éjecté du Bundestag en février selon les sondages.

Face à ces divisions, la ministre Faeser a appelé à resserrer les rangs démocratiques et à ne pas sous-estimer le danger de l’extrémisme :

Nous devons tirer les leçons de l’Histoire. La Cour constitutionnelle est notre rempart contre ceux qui veulent saper nos institutions. Il est de notre devoir de la protéger.

Nancy Faeser, ministre fédérale de l’Intérieur

Quels scénarios pour le scrutin de février ?

À quelques mois du vote, tous les regards sont désormais tournés vers les élections fédérales. Si les sondages donnent les conservateurs de la CDU/CSU favoris avec environ 32 % des voix, suivis de l’AfD à 19 %, l’émiettement du paysage politique rend les projections très incertaines.

Dans ce contexte, plusieurs scénarios se dessinent :

  • Une coalition CDU/CSU-AfD, redoutée par une partie de la classe politique mais mathématiquement possible
  • Un gouvernement minoritaire de la CDU/CSU, qui devrait composer au cas par cas
  • Une grande coalition entre la CDU/CSU et le SPD d’Olaf Scholz, affaibli dans les sondages
  • Une alliance inédite entre la CDU/CSU, les Verts et le SPD, un « feu tricolore » à l’allemande

Au vu de la fragmentation politique annoncée, la formation du prochain gouvernement s’annonce périlleuse. Mais quel que soit le vainqueur, une chose est sûre : la vigilance face à la menace extrémiste et la défense de l’État de droit s’imposeront comme des priorités pour le futur chancelier ou la future chancelière. Le vote de cette loi sur la Cour constitutionnelle aura posé un premier jalon.

L’Allemagne, un modèle démocratique fragile

Au-delà de l’enjeu électoral immédiat, cette séquence politique révèle la fragilité persistante de la démocratie allemande, hantée par les démons de son passé. Près de 80 ans après la chute du nazisme, la montée des populismes et la radicalisation d’une partie de la société rappellent que les acquis démocratiques ne sont jamais définitivement gravés dans le marbre.

La démocratie n’est pas un état permanent qu’on atteint un jour et qu’on ne remet plus jamais en question par la suite. Non, la démocratie doit être revécue et redéfendue chaque jour.

Frank-Walter Steinmeier, président fédéral d’Allemagne, 2022

En renforçant l’indépendance de sa justice constitutionnelle, l’Allemagne envoie un message clair : la Constitution n’est pas un chiffon de papier, mais le socle intangible sur lequel repose l’édifice démocratique. Une leçon de résilience qui, au-delà du Rhin, résonne comme un appel à la vigilance pour toutes les démocraties européennes face au retour des vieux démons. L’Histoire n’est jamais un long fleuve tranquille, mais elle n’est pas une fatalité pour qui sait en tirer les enseignements.

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