Un vent de changement semble souffler sur la politique budgétaire allemande. Confronté à une économie en berne, le patron de la banque centrale du pays, Joachim Nagel, a créé la surprise en appelant à assouplir le très strict « frein à l’endettement ». Une prise de position forte qui témoigne d’une inflexion au sein même de la Bundesbank, temple de l’orthodoxie financière.
Un « frein à l’endettement » de plus en plus contesté
Instauré en 2009 sous l’égide des conservateurs de la CDU, le frein à l’endettement (Schuldenbremse) limite drastiquement la capacité d’emprunt de l’État fédéral, à hauteur de 0,35% du PIB par an. Un véritable carcan budgétaire qui, selon ses détracteurs, entrave la capacité d’investissement public du pays, notamment dans les infrastructures vieillissantes.
Longtemps intouchable, ce mécanisme constitutionnel est désormais ouvertement remis en cause, y compris par ceux qui en furent les plus ardents défenseurs. Ainsi, la CDU elle-même se montre de plus en plus favorable à une réforme, certes modérée, du dispositif. Un revirement qui en dit long sur l’ampleur des défis économiques auxquels fait face l’Allemagne.
L’Allemagne au bord de la récession
Car le constat est sans appel : le moteur économique allemand est grippé. Plombé par une industrie en crise, le pays s’achemine vers une deuxième année consécutive de récession. Selon les prévisions gouvernementales, le PIB devrait se contracter de 0,2% en 2024. Et les perspectives pour 2025 s’assombrissent, avec une croissance revue à la baisse à 0,7% par l’OCDE.
« L’expérience passée montre que lorsque l’Allemagne ressent la douleur, elle change »
Joachim Nagel, président de la Bundesbank
Dans ce contexte morose, les appels à desserrer l’étau budgétaire se multiplient. Pour Joachim Nagel, donner plus de souplesse à l’État pour retrouver la croissance est une « approche très intéressante ». Le banquier central préconise notamment de distinguer dépenses de consommation et d’investissement afin de dégager des marges de manœuvre pour moderniser les infrastructures du pays.
Une réforme en vue ?
Une position partagée par le conseil des « Sages », un panel de cinq éminents économistes. Dans un rapport récent, ils suggèrent une « réforme modérée » du frein à l’endettement, avec un relèvement de la limite de déficit à 0,5% du PIB si la dette reste inférieure à 90%, et à 1% pour une dette inférieure à 60%.
Avec un endettement à 63% de son PIB en 2024, l’Allemagne conserverait son statut de « bon élève » de la zone euro tout en se donnant les moyens d’investir dans des secteurs clés comme le transport, l’éducation ou la défense. Mais une telle réforme nécessiterait une majorité des deux tiers au Parlement, un défi de taille compte tenu des divisions de la coalition gouvernementale sur le sujet.
Une chose est sûre : le dogme de l’austérité budgétaire vacille outre-Rhin. Face à une économie en souffrance et des infrastructures en quête de modernisation, l’Allemagne semble prête à faire preuve de davantage de pragmatisme. Un changement de cap qui, s’il se confirme, pourrait avoir des répercussions majeures sur la politique économique européenne.