Quand le ciel s’assombrit au-dessus de l’Allemagne, ce n’est pas seulement le moral qui en pâtit. Ces derniers mois, le pays a été confronté à un défi de taille : faire face à des « pannes » d’électricité verte, alors même que les prix de l’énergie atteignent des sommets. Un véritable casse-tête pour la première économie d’Europe, engagée dans un ambitieux virage énergétique.
L’énergie au cœur de la campagne électorale
Cette question brûlante s’est invitée jusque dans l’arène politique, à l’approche des élections législatives du 23 février. Friedrich Merz, leader de l’opposition conservatrice et favori pour succéder au chancelier Olaf Scholz, n’a pas manqué de critiquer la politique énergétique du gouvernement :
Votre politique énergétique fait grincer des dents l’ensemble de l’Union européenne, qui est aujourd’hui très en colère contre l’Allemagne.
Friedrich Merz, devant les députés
En réponse, le ministre écologiste de l’Économie Robert Habeck a pointé du doigt l’héritage des seize années de gouvernance conservatrice sous Angela Merkel, estimant que ceux-ci étaient restés « aveugles » face aux défis énergétiques à venir.
Des prix de l’électricité qui atteignent des sommets
Au cœur de cette polémique : les prix records enregistrés sur le marché de l’électricité. En novembre, puis en décembre, le tarif a atteint pendant quelques heures les 936 euros par mégawattheure, soit douze fois la moyenne des semaines précédentes. En cause : l’absence de vent et de soleil, qui a mis à l’arrêt les parcs éoliens et photovoltaïques du pays.
Face à cette flambée des prix, certaines entreprises énergivores achetant leur électricité sur le marché en temps réel ont dû limiter, voire stopper momentanément leur production. Une situation qui a fait grimper la facture de certains pays voisins, comme la Suède, l’Allemagne important massivement à la Bourse de Leipzig durant cette « panne verte ».
La difficile équation de l’intermittence
Si la plupart des particuliers et bon nombre d’entreprises sont épargnés grâce à des tarifs fixes, cet épisode a mis en lumière les difficultés liées à l’intermittence des énergies renouvelables. Comme l’a rappelé le gouvernement :
Il y a des phases où il y a beaucoup de soleil, beaucoup de vent, où l’électricité est produite à un coût très bas en Allemagne, qui l’exporte dans les pays voisins, et puis il y a des phases où c’est l’inverse.
Mais pour l’Allemagne, déjà en perte de compétitivité, cette dépendance aux fluctuations de prix et de volumes d’électricité produits est un luxe qu’elle ne peut se permettre, insistent les experts.
Les renouvelables en hausse, les sources traditionnelles en baisse
Conformément aux objectifs fixés, la part des renouvelables dans la production électrique ne cesse de progresser outre-Rhin, atteignant en moyenne 60% depuis le début de l’année. Mais dans le même temps, les sources d’énergie traditionnelles déclinent :
- Les centrales à charbon ferment progressivement leurs portes
- Les trois derniers réacteurs nucléaires ont été déconnectés en avril
Pour compenser l’intermittence du solaire et de l’éolien, il faudrait donc à la fois multiplier les capacités de stockage des renouvelables et conserver un parc de centrales au gaz, convertibles à l’hydrogène, prêtes à prendre le relais en cas de besoin. Autant de chantiers qui n’avancent pas encore suffisamment vite, selon les spécialistes.
Un cadre réglementaire encore insuffisant
Georg Zachmann, expert en énergie pour le think tank bruxellois Bruegel, estime que l’État doit mettre en place « les bons cadres réglementaires » pour encourager les investissements dans le stockage d’énergie et la flexibilité de la demande. Mais beaucoup craignent que ce cadre ne soit pas suffisant pour développer rapidement les infrastructures nécessaires.
De nombreux obstacles, notamment bureaucratiques, freinent encore le déploiement des énergies vertes en Allemagne. Comme le souligne Claudia Kemfert de l’institut DIW :
Il faut en moyenne sept ans pour construire une éolienne, mais seulement sept mois pour construire un terminal de gaz naturel liquéfié. Cela devrait être l’inverse.
Claudia Kemfert, experte en énergie à l’institut DIW
Un projet de loi clé abandonné
La chute récente de la coalition d’Olaf Scholz, qui va conduire à la formation d’un nouveau gouvernement après les élections de février, a entraîné l’abandon d’un projet de loi crucial. Celui-ci devait permettre la construction d’un parc de centrales à gaz destinées à remplacer les centrales à charbon. Un revers de plus pour la transition énergétique allemande.
Face à cette situation préoccupante, les milieux industriels tirent la sonnette d’alarme. Markus Krebber, patron de RWE, le principal producteur d’électricité du pays, estime que le système a atteint « ses limites ». Selon lui, les « pannes vertes » du début d’hiver n’auraient « pas été gérables un autre jour avec une charge de pointe plus élevée, par exemple en janvier ».
L’Allemagne se retrouve ainsi face à un défi de taille : réussir sa transition énergétique sans mettre en péril sa compétitivité économique et la stabilité de son approvisionnement en électricité. Un véritable numéro d’équilibriste qui nécessitera des investissements massifs et un cadre réglementaire adapté. Le nouveau gouvernement qui sera formé après les élections de février aura la lourde tâche de trouver cet équilibre délicat, afin de permettre au pays de concrétiser ses ambitions en matière d’énergies renouvelables, sans pour autant hypothéquer son avenir économique.