Scandale à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) : alors qu’elles ne disposaient pas de l’agrément obligatoire, plusieurs familles d’accueil sont aujourd’hui poursuivies en justice. Les dizaines d’enfants qui leur avaient été confiés par l’ASE racontent un véritable calvaire fait de violences et d’humiliations. En parallèle, une enquête révèle que plus de 630 000 euros collectés pour ces mineurs vulnérables auraient été détournés, sans jamais être déclarés au fisc.
Des familles d’accueil sans agrément, aux pratiques douteuses
Pour pouvoir accueillir des mineurs confiés par l’ASE, les familles doivent normalement obtenir un agrément délivré par le Conseil départemental, garant de leurs compétences et de la qualité de l’hébergement. Or il s’avère que plusieurs familles sans ce précieux sésame ont hébergé et pris en charge des jeunes, parfois sur de longues durées.
Les conséquences ont été désastreuses pour nombre de ces enfants, déjà fragilisés par leur parcours. Certains font état de violences physiques et psychologiques, de privations, d’humiliations. “On nous frappait pour un oui ou pour un non”, confie Sonia*, 14 ans. “Ils nous disaient qu’on était des moins que rien, qu’on finirait SDF ou en prison”.
Dans une famille, on mangeait les restes, parfois pourris. On n’avait pas le droit de se resservir.
Témoignage de Kévin*, 16 ans
Comment ces familles inadaptées ont-elles pu recevoir ces enfants ? L’ASE, en manque chronique de places d’hébergement, reconnaît avoir fermé les yeux sur l’absence d’agrément, par souci de ne pas laisser ces jeunes à la rue. Mais les dérives qui en ont découlé soulèvent la question de la supervision des familles d’accueil et des contrôles à renforcer.
Un vaste système de détournement de fonds
Pour ne rien arranger, une vaste combine financière semble avoir profité de la vulnérabilité de ces mineurs. Deux responsables de familles d’accueil, J.M. et B.C., auraient détourné une grande partie des sommes allouées par l’ASE pour l’entretien des enfants, soit plus de 630 000 euros sur 5 ans. Cet argent aurait transité vers des sociétés-écrans créées en Roumanie, sans être déclaré au fisc français.
Pendant ce temps, les jeunes accueillis vivaient dans des conditions spartiates, avec un strict minimum en termes d’alimentation, d’hygiène ou d’accès aux loisirs. “On nous privait de tout, soi-disant qu’il n’y avait pas assez d’argent”, explique Léa*, 17 ans. “Mais eux partaient souvent en voyage…”
Des solutions d’accueil peu adaptées
Au-delà de ces cas extrêmes, ces révélations mettent en lumière les difficultés structurelles de l’ASE pour trouver des lieux d’hébergement adaptés aux besoins des mineurs. Par manque de places en foyer, certains jeunes ont ainsi été envoyés dans des lieux très peu appropriés :
- De jeunes maghrébins confiés à des mosquées, faute de familles d’accueil disponibles
- Une adolescente hébergée dans un centre Emmaüs, au milieu d’hommes sans-abri
- Des fratries séparées et ballotées de foyer en foyer
Pour les syndicats du secteur, ces “solutions” bricolées illustrent surtout le manque de moyens et de volonté politique pour protéger efficacement ces enfants : “On fait au mieux avec ce qu’on nous donne. Mais clairement, la prise en charge pèche souvent par manque d’anticipation, manque de suivi, manque de personnel, et surtout manque de considération pour le bien-être de ces gamins”, déplore un éducateur.
Une protection de l’enfance à repenser
Ces différentes affaires, si elles ne doivent pas jeter l’opprobre sur tous les acteurs de la protection de l’enfance qui font un travail remarquable, illustrent cependant les graves dysfonctionnements d’un système à bout de souffle. Pour nombre d’observateurs, une refonte profonde de l’Aide sociale à l’enfance s’impose, avec notamment :
- Un renforcement des contrôles et de la supervision des familles d’accueil
- La création de places d’hébergement en nombre suffisant et adaptées aux besoins
- Un meilleur suivi des jeunes et de leurs parcours
- Une revalorisation des moyens humains et financiers du secteur
- Une prise en compte effective de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les décisions
Surtout, c’est un changement de regard sur ces enfants et ces jeunes qui est attendu. Trop souvent considérés comme des “cas” dont il faut se débarrasser à moindre coût, ils doivent être reconnus comme des citoyens à part entière, détenteurs de droits fondamentaux. À commencer par celui de grandir dans un environnement bienveillant et épanouissant.
Car derrière les polémiques et les affaires sordides, il y a des trajectoires de vie brisées, des blessures profondes et des destins contrariés. La société a une dette immense envers ces enfants dont elle avait la responsabilité. Il est plus que temps d’y faire face.
On parle beaucoup de la protection de l’enfance. Mais concrètement, qui protège vraiment ces gamins ?
Une éducatrice de l’ASE
* Les prénoms ont été modifiés