Alors que les crises mondiales se multiplient, l’aide au développement pourrait bien être la première victime du retour de l’austérité en Europe. Les coupes budgétaires drastiques prévues en 2025 par certains des principaux bailleurs, France et Allemagne en tête, suscitent l’inquiétude des ONG.
Une baisse “historique” du budget français
Le gouvernement français, 3ème contributeur européen et 6ème mondial en 2023 selon l’OCDE, compte sabrer un tiers du budget de l’aide publique au développement (APD), soit près de 2 milliards d’euros. Un niveau “historique”, “bien plus qu’aucun autre gouvernement européen”, s’alarme la Coordination SUD qui rassemble 180 associations et ONG françaises.
Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, chantre du financement public au développement, la France avait pourtant augmenté sa contribution à un montant record en 2022. L’actuel rétropédalage la ferait revenir au niveau d’avant 2017, “alors que de nombreuses crises s’aggravent et se superposent” et que “la solidarité internationale mérite plus que jamais d’être préservée”, souligne Coordination SUD.
L’aide au développement, “variable d’ajustement” budgétaire
Selon Vincent Pradier, chercheur doctorant à la Sorbonne Business School, dès qu’il y a des problématiques budgétaires, l’APD fait partie des premiers portefeuilles impactés. Il parle de “variable d’ajustement”. Un constat partagé par d’autres pays européens.
Au Royaume-Uni, le précédent gouvernement conservateur avait réduit ces dernières années la part de son revenu national brut consacrée à l’APD, au nom des difficultés économiques. Dans le budget présenté par le nouveau gouvernement travailliste, cette aide reste à un niveau inférieur aux engagements.
De même, l’Allemagne, 2ème contributeur mondial après les États-Unis, faiblit. Si Berlin n’a pas encore bouclé son budget, le projet présenté en juillet touche durement le ministère du Développement, avec une baisse de près d’un milliard d’euros.
Des “contradictions” pointées du doigt
Experts et humanitaires dénoncent les “contradictions” de dirigeants qui veulent enrayer les flux migratoires dans l’UE tout en coupant l’assistance aux pays en crise. “Ils devraient voir l’aide au développement comme un investissement et non un coût”, estime l’économiste togolais Kako Nubukpo.
Cet argent permet de stabiliser les populations de pays en guerre ou touchés par des évènements climatiques. C’est quand ils perdent les services de base financés par l’aide internationale que les gens commencent à quitter leur pays.
– Kako Nubukpo, économiste
Pourtant, selon les Nations Unies, 300 millions de personnes ont un besoin humanitaire dans le monde en 2024, contre 78 millions en 2015. “Plus de 60% des besoins ne sont aujourd’hui pas financés, et les conséquences sont déjà tragiques”, affirme Isam Khatib, ex-directeur adjoint d’une ONG syrienne basée à Paris.
Des conséquences dramatiques sur le terrain
D’après lui, dans le nord-ouest de la Syrie, près de 110 centres de santé et 34 hôpitaux ont dû fermer leurs portes cette année faute de fonds suffisants. Un exemple parmi tant d’autres des répercussions concrètes de ces coupes budgétaires.
Les deux milliards d’euros de coupes françaises auraient par exemple permis, selon la Coordination SUD :
- L’accès à l’eau de centaines de milliers de familles
- L’accompagnement scolaire de plus de 17 millions d’enfants
- La vaccination de 71 millions d’enfants
Face à l’ampleur et la multiplicité des crises actuelles, les ONG appellent donc les gouvernements européens à revoir leurs arbitrages budgétaires. Pour elles, rogner sur l’aide au développement aujourd’hui, c’est prendre le risque d’aggraver la situation et de devoir payer un prix bien plus lourd demain, tant sur le plan humain, sécuritaire qu’économique.