Alors que le 65e sommet du Mercosur débute ce vendredi à Montevideo, les pays membres rêvent d’une signature « historique » de l’accord commercial avec l’Union Européenne, en négociation depuis un quart de siècle. Pourtant, malgré l’insistance de l’Allemagne, la France et la Pologne expriment toujours des réserves sur les termes actuels de l’accord. Ce sommet pourrait bien être la dernière chance de finaliser ce projet d’envergure.
Un Accord Crucial pour le Mercosur et l’UE
Initié il y a 25 ans, l’accord de libre-échange entre le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Bolivie) et l’Union Européenne a finalement vu ses contours arrêtés en 2019. Mais depuis, sa ratification se fait attendre. Pour la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock, il est grand temps de finaliser politiquement cet accord, qu’elle qualifie de « probablement la dernière chance ».
Du côté sud-américain, le président brésilien Lula se pose en fervent défenseur de l’accord, affirmant vouloir le « signer d’ici la fin de l’année ». Il minimise l’opposition française, soulignant que c’est désormais la Commission Européenne qui décide.
La France et la Pologne sur la Réserve
Pourtant, la France ne compte pas lâcher l’affaire si facilement. Lors d’un vote consultatif, l’Assemblée Nationale et le Sénat ont validé la position du gouvernement français qui s’oppose « pleinement, résolument » à tout accord « dans les conditions actuelles », craignant qu’il ne garantisse pas des « conditions de concurrence loyale » pour les agriculteurs français.
« Nous espérons que la présidente de la Commission Européenne saura user de son mandat pour finaliser cet accord historique. »
– Omar Paganini, ministre des Affaires étrangères de l’Uruguay
La Pologne a rejoint la France dans ses réserves, le Premier ministre Donald Tusk affirmant également ne pas accepter l’accord « sous cette forme ». Malgré tout, le Brésil et l’Uruguay restent optimistes quant à une issue positive des négociations, qualifiant ce sommet de « moment critique » pour un accord qui serait « historique ».
Un Marché Crucial pour les Exportations Agricoles du Mercosur
L’enjeu est de taille pour les pays du Mercosur, véritables puissances agricoles mondiales. Avec son soja, son maïs, sa canne à sucre, son café ou encore sa viande, le bloc sud-américain est déjà très présent sur le marché européen. En 2023, le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay ont exporté pour près de 24 milliards de dollars de produits agricoles et agroalimentaires dans l’UE, soit 13,3% de leurs exportations hors Mercosur.
Si l’UE représente un marché nettement plus important que les États-Unis (4,5%), elle reste moins cruciale que la Chine, qui concentre à elle seule 34% de leurs exportations agricoles et agroalimentaires. Néanmoins, les syndicats agricoles français dénoncent une concurrence déloyale, pointant du doigt des normes environnementales, sociales et sanitaires moins exigeantes côté Mercosur.
Javier Milei, Nouveau Venu Iconoclaste
Ce 65e sommet du Mercosur marque également la première participation du nouveau président argentin Javier Milei, en fonctions depuis décembre 2023. Cet « anarcho-libéral » autoproclamé ne devrait pas rompre les ponts avec le bloc, même s’il défend la pleine autonomie de chacun des membres pour conclure des accords de libre-échange avec des pays tiers.
« Partir n’est pas un plan A. Le plan A est que nous puissions négocier de la meilleure façon possible. Le plan B prévoit que le Mercosur soit un marché de libre-échange. Si cela ne se produit pas, le plan C consiste à évaluer la possibilité de quitter le Mercosur. »
– Source gouvernementale argentine au journal Clarin
Mais avec le départ du président uruguayen de droite Luis Lacalle Pou, battu par la gauche, Milei risque de se retrouver plus isolé dans un Mercosur aligné sur Lula, avec lequel les relations sont tendues. Pourtant, l’Argentine doit composer avec le Brésil, géant voisin et principal partenaire commercial.
Selon Ignacio Bartesaghi, professeur de relations internationales à l’Université catholique d’Uruguay, sans accord avec l’UE, Milei pourrait ainsi défendre une sortie du Mercosur, même si la décision devrait être approuvée au Parlement où il n’a pas la majorité.
Un Sommet Décisif pour l’Avenir
Ce 65e sommet du Mercosur s’annonce donc crucial à bien des égards. La finalisation de l’accord avec l’UE, espérée depuis si longtemps, semble à portée de main malgré les réticences européennes. Mais un échec des négociations pourrait bien rebattre les cartes au sein même du bloc sud-américain, avec un nouveau venu argentin prêt à bousculer le statu quo.
Entre enjeux commerciaux, défis agricoles et équilibres géopolitiques, les dirigeants du Mercosur jouent gros lors de ces deux jours de discussions. L’issue de ce sommet, qu’elle soit positive ou négative, ne manquera pas de marquer l’histoire des relations entre l’Amérique du Sud et l’Europe. La balle est désormais dans le camp de la Commission Européenne, qui devra trouver le juste équilibre entre les intérêts de chacun pour sceller cet accord tant attendu.