C’est un symbole fort qui vient de tomber à Norges-la-Ville, petite commune de Côte-d’Or abritant la deuxième plus grande communauté Emmaüs de France. Suite aux récentes accusations de violences sexuelles visant l’Abbé Pierre, fondateur du mouvement, le conseil municipal a voté à l’unanimité le retrait de sa statue qui trônait depuis 2013 sur la place du village.
Un vote sans appel
Le maire Denis Mailler a résumé sobrement la situation : « Il n’y a eu aucun débat. » Face à la gravité des témoignages qui se sont multipliés ces derniers mois, mettant en cause le comportement de l’Abbé Pierre envers des femmes entre les années 1950 et 2000, les élus locaux ont tranché. « On ne pouvait pas faire autrement. La raison est évidente », a-t-il ajouté.
Mardi 17 septembre, la sculpture en résine à taille réelle représentant la figure emblématique d’Emmaüs a donc été déboulonnée de son piédestal par les services techniques de la commune. Direction les ateliers municipaux, en attendant de décider de son sort définitif. « On verra ce qu’on en fait », glisse le maire, non sans une pointe d’amertume.
Le soutien d’Emmaüs
Du côté de la communauté Emmaüs de Norges-la-Ville, qui accueille 120 compagnons dans ses murs et gère un important dépôt-vente ainsi qu’un centre de recyclage, pas d’opposition au retrait de la statue. « Cela ne pose pas de souci de notre côté », affirme son président. « Nous sommes une communauté Emmaüs, pas la communauté de l’Abbé Pierre. C’est la compétence de la mairie. »
Même son de cloche chez Yves Roulleau, l’artiste local qui avait réalisé gracieusement la statue il y a 10 ans. Contacté par la mairie, il dit avoir « accepté cette décision sans problème ». Et d’ajouter : « À l’époque, la France était sous le choc de sa disparition. Après les révélations, il en est tout autrement ». Au point de recommander lui-même la destruction pure et simple de son œuvre.
Un homme, une œuvre
Au-delà du choc et des prises de position, le déboulonnage express de la statue de l’Abbé Pierre à Norges-la-Ville, là où son mouvement a pris racine dès les années 1950, interroge sur la façon dont notre société gère l’héritage des grandes figures lorsque leur part d’ombre éclate au grand jour.
Cet homme a fait beaucoup de bien et aussi beaucoup de mal. Pour simplifier, c’était un être humain.
Un internaute
Faut-il faire table rase du passé, au risque de l’oubli et du déni ? Ou assumer la complexité d’un destin, ses parts de lumière comme ses zones d’ombre ? Le débat mérite sans doute mieux que des réactions à chaud et des décisions expéditives, surtout quand il s’agit d’une personnalité de la stature de l’Abbé Pierre, et d’un mouvement aussi essentiel qu’Emmaüs.
Et maintenant ?
Pour l’heure, la statue de l’Abbé Pierre repose donc entre deux bacs à fleurs et un motoculteur, quelque part dans un entrepôt municipal de Norges-la-Ville. Triste fin ou juste retour des choses pour celui qui avait fondé sa « république des pauvres » sur ces terres de Bourgogne ?
Une chose est sûre : le retrait de cette effigie ne règle en rien la question du rapport de notre société à ses icônes et à leurs failles. Ni celle de la lutte contre l’exclusion, qui reste plus que jamais d’actualité. Gageons que l’esprit d’Emmaüs saura survivre à la chute de cette statue. Comme un certain abbé, en son temps, avait su construire son combat sur les ruines d’un monde en perdition.