L’immigration illégale aux États-Unis est-elle sur le point de connaître un tournant majeur ? C’est ce que laisse penser la déclaration choc de Joe Biden lors de son discours à la convention nationale du parti démocrate à Chicago. Devant une foule médusée, le président américain a affirmé sans détour : “Kamala et moi sommes engagés à renforcer l’immigration illégale“.
Une petite phrase lourde de sens, qui marque un virage à 180 degrés dans le discours du parti démocrate sur la question brûlante de l’immigration clandestine. Après des années à minimiser l’ampleur du phénomène et ses conséquences, Joe Biden semble décidé à prendre le contre-pied de son prédécesseur Donald Trump, qui avait fait de la lutte contre l’immigration illégale un marqueur fort de sa présidence.
Un sujet qui divise l’Amérique
L’immigration, et en particulier l’immigration illégale, est depuis longtemps un sujet de discorde majeur dans la société américaine. Selon un sondage du Pew Research Center, 91% des électeurs républicains considèrent que réduire l’immigration illégale devrait être une priorité absolue, contre seulement 19% des démocrates. Un fossé idéologique abyssal, qui reflète des visions diamétralement opposées de l’identité et de l’avenir du pays.
Pour les conservateurs, l’afflux de migrants clandestins représente une menace existentielle pour la sécurité, l’économie et la cohésion sociale des États-Unis. Ils réclament un durcissement des contrôles aux frontières, une application plus stricte des lois sur l’immigration, et l’expulsion systématique des sans-papiers. À l’inverse, de nombreux progressistes voient dans l’immigration, même illégale, une chance pour le pays de se renouveler et de s’enrichir culturellement. Ils plaident pour une approche plus humaine et inclusive, avec une régularisation massive des clandestins déjà présents sur le sol américain.
Les “dreamers”, au cœur du débat
Dans son discours, Joe Biden a mentionné explicitement les “dreamers”, ces centaines de milliers de jeunes migrants arrivés illégalement aux États-Unis pendant leur enfance. Leur sort cristallise les passions et les contradictions de la politique migratoire américaine. Beaucoup ont grandi et étudié dans le pays, parlent parfaitement anglais, et se sentent américains à part entière. Pourtant, faute de statut légal, ils vivent sous la menace permanente d’une expulsion vers un pays qu’ils ne connaissent pas ou plus.
En promettant de les protéger, Joe Biden envoie un signal fort à son camp, mais aussi aux immigrés et à leurs familles. Une main tendue qui risque cependant de braquer un peu plus l’électorat conservateur, viscéralement hostile à toute forme de régularisation ou d’amnistie. Le spectre d’un “appel d’air” incontrôlé, qui encouragerait de nouvelles vagues de migration illégale, est agité comme un épouvantail par les adversaires du président.
Vers une réforme globale de l’immigration ?
Au-delà des “dreamers”, c’est toute l’architecture du système d’immigration américain qui semble appelée à évoluer sous l’impulsion de l’administration Biden. La régularisation du statut des sans-papiers, l’augmentation des quotas de visas légaux, l’assouplissement des critères d’accueil des réfugiés et demandeurs d’asile : autant de chantiers potentiels pour mettre en œuvre la promesse présidentielle de “renforcer” l’immigration, y compris illégale.
Reste à savoir si Joe Biden aura les moyens politiques de ses ambitions. Même avec une mince majorité au Congrès, faire adopter une vaste réforme migratoire s’annonce comme un défi colossal, au vu des profondes divisions qui traversent le pays sur le sujet. Le président devra aussi composer avec les réticences d’une partie de son propre camp, inquiète de l’impact électoral d’une ligne jugée trop laxiste.
Les propos de Joe Biden sur l’immigration illégale marquent un tournant dans le débat politique américain. Ils ouvrent la voie à une refonte en profondeur du système migratoire, mais au risque de fracturer un peu plus une société déjà polarisée à l’extrême sur ces questions identitaires et sociétales cruciales pour l’avenir de la première puissance mondiale.
L’enjeu dépasse largement les frontières des États-Unis. En tant que terre d’immigration historique et pays le plus riche du monde, l’attitude de Washington en matière de politique migratoire a valeur d’exemple, voire de modèle, pour de nombreux autres États confrontés aux défis de l’intégration et de la régulation des flux. À l’heure où les crises globales (conflits, réchauffement climatique, inégalités…) jettent des millions de personnes sur les routes, la capacité des démocraties à concilier humanité et fermeté, ouverture et maîtrise, sera décisive pour préserver leur cohésion et leur stabilité dans les décennies à venir.
